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LE DÉSERT DE GLACE

nos chasses ; je conviens que le pays offre peu de ressources aux animaux ; mais le gibier des terres boréales n’a pas le droit d’être difficile, et il aurait pu se montrer plus complaisant.

— Ne nous désespérons pas, répondit le docteur ; la saison d’été commence à peine, et si Parry a rencontré tant d’animaux divers à l’île Melville, il n’y a aucune raison pour n’en pas trouver ici.

— Cependant nous sommes plus au nord, répondit Hatteras.

— Sans doute ; mais le nord n’est qu’un mot dans cette question ; c’est le pôle du froid qu’il faut considérer, c’est-à-dire cette immensité glaciale au milieu de laquelle nous avons hiverné avec le Forward ; or, à mesure que nous montons, nous nous éloignons de la partie la plus froide du globe ; nous devons donc retrouver au delà ce que Parry, Ross et d’autres navigateurs rencontrèrent en deçà.

— Enfin, fit Altamont avec un soupir de regret, jusqu’ici nous faisons plutôt métier de voyageurs que de chasseurs !

— Patience, répondit le docteur, le pays tend à changer peu à peu, et je serai bien étonné si le gibier nous manque dans les ravins où la végétation aura trouvé moyen de se glisser.

— Il faut avouer, répliqua l’Américain, que nous traversons une contrée bien inhabitée et bien inhabitable !

— Oh ! bien inhabitable, c’est un gros mot, repartit le docteur ; je ne crois pas aux contrées inhabitables ; l’homme, à force de sacrifices, en usant génération sur génération, et avec toutes les ressources de la science agricole, finirait par fertiliser un pareil pays !

— Vous pensez ? fit Altamont.

— Sans doute ! si vous alliez aux contrées célèbres des premiers jours du monde, aux lieux où fut Thèbes, où fut Ninive, où fut Babylone, dans ces vallées fertiles de nos pères, il vous semblerait impossible que l’homme y eût jamais pu vivre, et l’atmosphère même s’y est viciée depuis la disparition des êtres humains. C’est la loi générale de la nature qui rend insalubres et stériles les contrées où nous ne vivons pas comme celles où nous ne vivons plus. Sachez-le bien, c’est l’homme qui fait lui-même son pays, par sa présence, par ses habitudes, par son industrie, je dirai plus, par son haleine ; il modifie peu à peu les exhalaisons du sol et les conditions atmosphériques, et il assainit par cela même qu’il respire ! Donc, qu’il existe des lieux inhabités, d’accord, mais inhabitables, jamais. »

En causant ainsi, les chasseurs, devenus naturalistes, marchaient toujours,