Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/325

Cette page a été validée par deux contributeurs.
315
LE DÉSERT DE GLACE

— On serait tenté de le croire, répondit le docteur, car voici une réponse adressée au Comité du théâtre :

« Messieurs, je suis veuve ; j’ai vingt-six ans, et je puis produire des témoignages irrécusables en faveur de mes mœurs et de mes talents. Mais, avant de me charger de la toilette des actrices de votre théâtre, je désire savoir si elles ont l’intention de garder leurs culottes, et si l’on me fournira l’assistance de quelques vigoureux matelots pour lacer et serrer convenablement leurs corsets. Cela étant, messieurs, vous pouvez compter sur votre servante.

« A. B. »

« P. S. Ne pourriez-vous substituer l’eau-de-vie à la petite bière ? »

— Ah ! bravo ! s’écria Altamont. Je vois d’ici ces femmes de chambre qui vous lacent au cabestan. Eh bien, ils étaient gais, les compagnons du capitaine Parry.

— Comme tous ceux qui ont atteint leur but, » répondit Hatteras.

Hatteras avait jeté cette remarque au milieu de la conversation, puis il était retombé dans son silence habituel. Le docteur, ne voulant pas s’appesantir sur ce sujet, se hâta de reprendre sa lecture.

« Voici maintenant, dit-il, un tableau des tribulations arctiques ; on pourrait le varier à l’infini ; mais quelques-unes de ces observations sont assez justes ; jugez-en :

« Sortir le matin pour prendre l’air, et, en mettant le pied hors du vaisseau, prendre un bain froid dans le trou du cuisinier.

« Partir pour une partie de chasse, approcher d’un renne superbe, le mettre en joue, essayer de faire feu et éprouver l’affreux mécompte d’un raté, pour cause d’humidité de l’amorce.

« Se mettre en marche avec un morceau de pain tendre dans la poche, et, quand l’appétit se fait sentir, le trouver tellement durci par la gelée qu’il peut bien briser les dents, mais non être brisé par elles.

« Quitter précipitamment la table en apprenant qu’un loup passe en vue du navire, et trouver au retour le dîner mangé par le chat.

« Revenir de la promenade en se livrant à de profondes et utiles méditations, et en être subitement tiré par les embrassements d’un ours. »

— Vous le voyez, mes amis, ajouta le docteur, nous ne serions pas embarrassés d’imaginer quelques autres désagréments polaires ; mais, du moment qu’il fallait subir ces misères, cela devenait un plaisir de les constater.

— Ma foi, répondit Altamont, c’est un amusant journal que cette Chronique d’hiver, et il est fâcheux que nous ne puissions nous y abonner !