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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

toutes les autres terres qu’il découvrira, s’il en découvre ; mais ce continent m’appartient ! je ne pourrais même admettre la prétention qu’il portât deux noms, comme la terre Grinnel, nommée également terre du Prince-Albert, parce qu’un Anglais et un Américain la reconnurent presque en même temps. Ici, c’est autre chose ; mes droits d’antériorité sont incontestables. Aucun navire, avant le mien, n’a rasé cette côte de son plat-bord. Pas un être humain, avant moi, n’a mis le pied sur ce continent ; or, je lui ai donné un nom, et il le gardera.

— Et quel est ce nom ? demanda le docteur.

— La Nouvelle-Amérique, » répondit Altamont.

Les poings d’Hatteras se crispèrent sur la table. Mais, faisant un violent effort sur lui-même, il se contint.

« Pouvez-vous me prouver, reprit Altamont, qu’un Anglais ait jamais foulé ce sol avant un Américain ? »

Johnson et Bell se taisaient, bien qu’ils fussent non moins irrités que le capitaine de l’impérieux aplomb de leur contradicteur. Mais il n’y avait rien à répondre.

Le docteur reprit la parole, après quelques instants d’un silence pénible :

« Mes amis, dit-il, la première loi humaine est la loi de la justice ; elle renferme toutes les autres. Soyons donc justes, et ne nous laissons pas aller à de mauvais sentiments. La priorité d’Altamont me paraît incontestable. Il n’y a pas à la discuter ; nous prendrons notre revanche plus tard, et l’Angleterre aura bonne part dans nos découvertes futures. Laissons donc à cette terre le nom de la Nouvelle-Amérique. Mais Altamont, en la nommant ainsi, n’a pas, j’imagine, disposé des baies, des caps, des pointes, des promontoires qu’elle contient, et je ne vois aucun empêchement à ce que nous nommions cette baie la baie Victoria ?

— Aucun, répondit Altamont, si le cap qui s’étend là-bas dans la mer porte le nom de cap Washington.

— Vous auriez pu, monsieur, s’écria Hatteras hors de lui, choisir un nom moins désagréable à une oreille anglaise.

— Mais non plus cher à une oreille américaine, répondit Altamont avec beaucoup de fierté.

— Voyons ! voyons ! répondit le docteur, qui avait fort à faire pour maintenir la paix dans ce petit monde, pas de discussion à cet égard ! qu’il soit permis à un Américain d’être fier de ses grands hommes ! honorons le génie partout où il se rencontre, et puisque Altamont a fait son choix, parlons maintenant pour nous et les nôtres. Que notre capitaine…