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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

sait à demi écrasée sous un énorme glaçon ; les clous, les crochets, les capes de mouton, les ferrures du gouvernail, les feuilles du doublage, tout le métal du brick s’était éparpillé au loin comme une véritable mitraille.

Mais ce fer, qui eût fait la fortune d’une tribu d’Esquimaux, n’avait aucune utilité dans la circonstance actuelle ; ce qu’il fallait rechercher, avant tout, c’étaient les vivres, et le docteur faisait peu de trouvailles en ce genre.

« Cela va mal, se disait-il ; il est évident que la cambuse, située près de la soute aux poudres, a dû être entièrement anéantie par l’explosion ; ce qui n’a pas brûlé doit être réduit en miettes. C’est grave, et si Johnson ne fait pas meilleure chasse que moi, je ne vois pas trop ce que nous deviendrons. »

Cependant, en élargissant le cercle de ses recherches, le docteur parvint à recueillir quelques restes de pemmican[1], une quinzaine de livres environ, et quatre bouteilles de grès qui, lancées au loin sur une neige encore molle, avaient échappé à la destruction et renfermaient cinq ou six pintes d’eau-de-vie.

Plus loin, il ramassa deux paquets de graines de chochlearia ; cela venait à propos pour compenser la perte du lime-juice, si propre à combattre le scorbut.

Au bout de deux heures, le docteur et Johnson se rejoignirent. Ils se firent part de leurs découvertes ; elles étaient malheureusement peu importantes sous le rapport des vivres : à peine quelques pièces de viande salée, une cinquantaine de livres de pemmican, trois sacs de biscuit, une petite réserve de chocolat, de l’eau-de-vie et environ deux livres de café récolté grain à grain sur la glace.

Ni couvertures, ni hamacs, ni vêtements, ne purent être retrouvés ; évidemment l’incendie les avait dévorés.

En somme, le docteur et le maître d’équipage recueillirent des vivres pour trois semaines au plus du strict nécessaire ; c’était peu pour refaire des gens épuisés. Ainsi, par suite de circonstances désastreuses, après avoir manqué de charbon, Hatteras se voyait à la veille de manquer d’aliments.

Quant au combustible fourni par les épaves du navire, les morceaux de ses mâts et de sa carène, il pouvait durer trois semaines environ ; mais encore le docteur, avant de l’employer au chauffage de la maison de glace, voulut savoir de Johnson si, de ces débris informes, on ne saurait pas reconstruire un petit navire, ou tout au moins une chaloupe.

« Non, monsieur Clawbonny, lui répondit le maître d’équipage, il n’y faut pas songer ; il n’y a pas une pièce de bois intacte dont on puisse tirer parti ; tout cela n’est bon qu’à nous chauffer pendant quelques jours, et après…

  1. Préparation de viande condensée.