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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

— Cependant… fit le docteur.

— Clawbonny, Bell, écoutez-moi, reprit Hatteras ; il ne nous reste pas pour vingt jours de vivres ! Voyez si nous pouvons perdre un instant ! »

Ni le docteur ni Bell ne répondirent un seul mot, et le traîneau reprit sa marche un moment interrompue.

Le soir, on s’arrêta au pied d’un monticule de glace, dans lequel Bell tailla promptement une caverne ; les voyageurs s’y réfugièrent ; le docteur passa la nuit à soigner Simpson ; le scorbut exerçait déjà sur le malheureux ses affreux ravages, et les souffrances amenaient une plainte continue sur ses lèvres tuméfiées.

« Ah ! monsieur Clawbonny !

— Du courage, mon garçon ! disait le docteur.

— Je n’en reviendrai pas ! je le sens ! je n’en puis plus ! j’aime mieux mourir ! »

À ces paroles désespérées, le docteur répondait par des soins incessants ; quoique brisé lui-même des fatigues du jour, il employait la nuit à composer quelque potion calmante pour le malade ; mais déjà le lime-juice restait sans action, et des frictions n’empêchaient pas le scorbut de s’étendre peu à peu.

Le lendemain, il fallait replacer cet infortuné sur le traîneau, quoiqu’il demandât à rester seul, abandonné, et qu’on le laissât mourir en paix ; puis on reprenait cette marche effroyable au milieu de difficultés sans cesse accumulées.

Les brumes glacées pénétraient ces trois hommes jusqu’aux os ; la neige, le grésil, leur fouettaient le visage ; ils faisaient le métier de bête de somme, et n’avaient pas même une nourriture suffisante.