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LES ANGLAIS AU POLE NORD

Quant à John Hatteras, il ne paraissait pas ressentir l’influence de cette température. Il se promenait silencieusement, ni plus ni moins vite. Le froid n’avait-il pas prise sur son énergique constitution ? Possédait-il au suprême degré ce principe de chaleur naturelle qu’il recherchait chez ses matelots ? Était-il cuirassé dans son idée fixe, de manière à se soustraire aux impressions extérieures ? Ses hommes ne le voyaient pas sans un profond étonnement affronter ces vingt-quatre degrés au-dessous de zéro ; il quittait le bord pendant des heures entières et revenait sans que sa figure portât les marques du froid.

« Cet homme est étrange, disait le docteur à Johnson ; il m’étonne moi-même ! Il porte en lui un foyer ardent ! C’est une des plus puissantes natures que j’aie étudiées de ma vie !

— Le fait est, répondit Johnson, qu’il va, vient, circule en plein air, sans se vêtir plus chaudement qu’au mois de juin.

— Oh ! la question de vêtement est peu de chose, répondait le docteur ; à quoi bon vêtir chaudement celui qui ne peut produire la chaleur par lui-même ? C’est essayer d’échauffer un morceau de glace en l’enveloppant dans une couverture de laine ! Mais Hatteras n’a pas besoin de cela ; il est ainsi bâti, et je ne serais pas étonné qu’il fît véritablement chaud à ses côtés, comme auprès d’un charbon incandescent. »

Johnson, chargé de dégager chaque matin le trou à feu, remarqua que la glace mesurait plus de dix pieds d’épaisseur.

Presque toutes les nuits, le docteur pouvait observer de magnifiques aurores boréales ; de quatre heures à huit heures du soir, le ciel se colorait légèrement dans le nord ; puis cette coloration prenait la forme régulière d’une bordure jaune pâle, dont les extrémités semblaient s’arc-bouter sur le champ de glace. Peu à peu, la zone brillante s’élevait dans le ciel suivant le méridien magnétique, et apparaissait striée de bandes noirâtres ; des jets d’une matière lumineuse s’élançaient, s’allongeaient alors, diminuant ou forçant leur éclat ; le météore, arrivé à son zénith, se composait souvent de plusieurs arcs, qui se baignaient dans les ondes rouges, jaunes ou vertes de la lumière. C’était un éblouissement, un incomparable spectacle. Bientôt les diverses courbes se réunissaient en un seul point et formaient des couronnes boréales d’une opulence toute céleste. Enfin, les arcs se pressaient les uns contre les autres, la splendide aurore pâlissait, les rayons intenses se fondaient en lueurs pâles, vagues, indéterminées, indécises, et le merveilleux phénomène, affaibli, presque éteint, s’évanouissait insensiblement dans les nuages obscurcis du sud.

On ne saurait comprendre la féerie d’un tel spectacle, sous les hautes latitudes,