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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

blait s’y être donné rendez-vous. Les ouvriers des warfs environnants avaient abandonné leurs travaux, les négociants leurs sombres comptoirs, les marchands leurs magasins déserts. Les omnibus multicolores qui longent le mur extérieur des bassins déversaient à chaque minute leur cargaison de curieux ; la ville ne paraissait plus avoir qu’une seule préoccupation : assister au départ du Forward.

Le Forward était un brick de cent soixante-dix tonneaux, muni d’une hélice et d’une machine à vapeur de la force de cent vingt chevaux. On l’eût volontiers confondu avec les autres bricks du port. Mais, s’il n’offrait rien d’extraordinaire aux yeux du public, les connaisseurs remarquaient en lui certaines particularités auxquelles un marin ne pouvait se méprendre.

Aussi, à bord du Nautilus, ancré non loin, un groupe de matelots se livrait-il à mille conjectures sur la destination du Forward.

« Que penser, disait l’un, de cette mâture ? il n’est pas d’usage, pourtant, que les navires à vapeur soient si largement voilés.

— Il faut, répondit un quartier-maître à large figure rouge, il faut que ce bâtiment-là compte plus sur ses mâts que sur sa machine, et s’il a donné un tel développement à ses hautes voiles, c’est sans doute parce que les basses seront souvent masquées. Ainsi donc, ce n’est pas douteux pour moi, le Forward est destiné aux mers arctiques ou antarctiques, là où les montagnes de glace arrêtent le vent plus qu’il ne convient à un brave et solide navire.

— Vous devez avoir raison, maître Cornhill, reprit un troisième matelot. Avez-vous remarqué aussi cette étrave qui tombe droit à la mer ?

— Ajoute, dit maître Cornhill, qu’elle est revêtue d’un tranchant d’acier fondu