Cependant, nous avions quitté la forêt claire et lumineuse, muets d’étonnement, accablés sous une stupéfaction qui touchait à l’abrutissement. Nous courions malgré nous. C’était une vraie fuite, semblable à ces entraînements effroyables que l’on subit dans certains cauchemars. Instinctivement, nous revenions vers la mer Lidenbrock, et je ne sais dans quelles divagations mon esprit se fût emporté, sans une préoccupation qui me ramena à des observations plus pratiques.
Bien que je fusse certain de fouler un sol entièrement vierge de nos pas, j’apercevais souvent des agrégations de rochers dont la forme rappelait ceux de Port-Graüben. Cela confirmait, d’ailleurs, l’indication de la boussole et notre retour involontaire au nord de la mer Lidenbrock. C’était parfois à s’y méprendre. Des ruisseaux et des cascades tombaient par centaines des saillies de rocs. Je croyais revoir la couche de surtarbrandur, notre fidèle Hans-bach et la grotte où j’étais revenu à la vie. Puis, quelques pas plus loin, la disposition des contre-forts, l’apparition d’un ruisseau, le profil surprenant d’un rocher venait me rejeter dans le doute.
Je fis part à mon oncle de mon indécision. Il hésita comme moi. Il ne pouvait s’y reconnaître au milieu de ce panorama uniforme.
« Évidemment, lui dis-je, nous n’avons pas abordé à notre point de départ, mais la tempête nous a ramenés un peu au-dessous, et en suivant le rivage, nous retrouverons Port-Graüben.
— Dans ce cas, répondit mon oncle, il est inutile de continuer cette exploration, et le mieux est de retourner au radeau. Mais ne te trompes-tu pas, Axel ?
— Il est difficile de se prononcer, mon oncle, car tous ces rochers se ressemblent. Je crois pourtant reconnaître le promontoire au pied duquel Hans a construit l’embarcation. Nous devons être près du petit port, si même ce n’est pas ici, ajoutai-je, en examinant une crique que je crus reconnaître.
— Non, Axel, nous retrouverions au moins nos propres traces, et je ne vois rien…
— Mais je vois, moi, m’écriai-je, en m’élançant vers un objet qui brillait sur le sable.
— Qu’est-ce donc ?
— Ceci, » répondis-je.
Et je montrai à mon oncle un poignard couvert de rouille, que je venais de ramasser.
— Tiens ! dit-il, tu avais donc emporté cette arme avec toi ?
— Moi ? Aucunement ! Mais vous…