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ossements fossiles, retrouvés dans ce calcaire argileux que les Anglais nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquement et de connaître leur colossale conformation.

J’ai vu au Muséum de Hambourg le squelette de l’un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. Suis-je donc destiné, moi, habitant de la terre, à me trouver face à face avec ces représentants d’une famille antédiluvienne ? Non ! c’est impossible. Cependant la marque des dents puissantes est gravée sur la barre de fer, et à leur empreinte, je reconnais qu’elles sont coniques comme celles du crocodile.

Mes yeux se fixent avec effroi sur la mer. Je crains de voir s’élancer l’un de ces habitants des cavernes sous-marines.

Je suppose que le professeur Lidenbrock partage mes idées, sinon mes craintes, car, après avoir examiné le pic, il parcourt l’océan du regard.

« Au diable, dis-je en moi-même, cette idée qu’il a eue de sonder ! Il a troublé quelque animal dans sa retraite, et si nous ne sommes pas attaqués en route !… »

Je jette un coup d’œil sur les armes, et je m’assure qu’elles sont en bon état. Mon oncle me voit faire et m’approuve du geste.

Déjà de larges agitations produites à la surface des flots indiquent le trouble des couches reculées. Le danger est proche. Il faut veiller.


Mardi 18 août. — Le soir arrive, ou plutôt le moment où le sommeil alourdit nos paupières, car la nuit manque à cet océan, et l’implacable lumière fatigue obstinément nos yeux, comme si nous naviguions sous le soleil des mers arctiques. Hans est à la barre. Pendant son quart je m’endors.

Deux heures après, une secousse épouvantable me réveille. Le radeau a été soulevé hors des flots avec une indescriptible puissance et rejeté à vingt toises de là.

« Qu’y a-t-il ? s’écrie mon oncle. Avons-nous touché ? »

Hans montre du doigt, à une distance de deux cents toises, une masse noirâtre qui s’élève et s’abaisse tour à tour. Je regarde et je m’écrie :

« C’est un marsouin colossal !

— Oui, réplique mon oncle, et voilà maintenant un lézard de mer d’une grosseur peu commune.

— Et plus loin un crocodile monstrueux ! Voyez sa large mâchoire et les rangées de dents dont elle est armée. Ah ! il disparaît !

— Une baleine ! une baleine ! s’écrie alors le professeur. J’aperçois ses nageoires énormes ! Vois l’air et l’eau qu’elle chasse par ses évents ! »