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S’il voulait entrer en Manche, il lui fallait prendre franchement à l’est. Il ne le fit pas.

Pendant toute la journée du 31 mai, le Nautilus décrivit sur la mer une série de cercles qui m’intriguèrent vivement. Il semblait chercher un endroit qu’il avait quelque peine à trouver. À midi, le capitaine Nemo vint faire son point lui-même. Il ne m’adressa pas la parole. Il me parut plus sombre que jamais. Qui pouvait l’attrister ainsi ? Était-ce sa proximité des rivages européens ? Sentait-il quelque ressouvenir de son pays abandonné ? Qu’éprouvait-il alors ? des remords ou des regrets ? Longtemps cette pensée occupa mon esprit, et j’eus comme un pressentiment que le hasard trahirait avant peu les secrets du capitaine.

Le lendemain, 1er juin, le Nautilus conserva les mêmes allures. Il était évident qu’il cherchait à reconnaître un point précis de l’Océan. Le capitaine Nemo vint prendre la hauteur du soleil, ainsi qu’il avait fait la veille. La mer était belle, le ciel pur. À huit milles dans l’est, un grand navire à vapeur se dessinait sur la ligne de l’horizon. Aucun pavillon ne battait à sa corne, et je ne pus reconnaître sa nationalité.

Le capitaine Nemo, quelques minutes avant que le soleil passât au méridien, prit son sextant et observa avec une précision extrême. Le calme absolu des flots facilitait son opération. Le Nautilus immobile ne ressentait ni roulis ni tangage.

J’étais en ce moment sur la plate-forme. Lorsque son relèvement fut terminé, le capitaine prononça ces seuls mots.

« C’est ici ! »

Il redescendit par le panneau. Avait-il vu le bâtiment qui modifiait sa marche et semblait se rapprocher de nous ? Je ne saurais le dire.

Je revins au salon. Le panneau se ferma, et j’entendis les sifflements de l’eau dans les réservoirs. Le Nautilus commença de s’enfoncer, suivant une ligne verticale, car son hélice entravée ne lui communiquait plus aucun mouvement.

Quelques minutes plus tard, il s’arrêtait à une profondeur de huit cent trente-trois mètres et reposait sur le sol.

Le plafond lumineux du salon s’éteignit alors, les panneaux s’ouvrirent, et à travers les vitres, j’aperçus la mer vivement illuminée par les rayons du fanal dans un rayon d’un demi-mille.

Je regardai à bâbord et je ne vis rien que l’immensité des eaux tranquilles.

Par tribord, sur le fond, apparaissait une forte extumescence qui attira mon attention. On eût dit des ruines ensevelies sous un empâtement de coquilles blanchâtres comme sous un manteau de neige. En examinant