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nant des navires naufragés et maintenant tapissés de fleurs vivantes.

Et pendant que je regardais ces épaves désolées, le capitaine Nemo me dit d’une voix grave :

« Le commandant La Pérouse partit le 7 décembre 1785 avec ses navires la Boussole et l’Astrolabe. Il mouilla d’abord à Botany-Bay, visita l’archipel des Amis, la Nouvelle-Calédonie, se dirigea vers Santa-Cruz et relâcha à Namouka, l’une des îles du groupe Hapaï. Puis, ses navires arrivèrent sur les récifs inconnus de Vanikoro. La Boussole, qui marchait en avant, s’engagea sur la côte méridionale. L’Astrolabe vint à son secours et s’échoua de même. Le premier navire se détruisit presque immédiatement. Le second, engravé sous le vent, résista quelques jours. Les naturels firent assez bon accueil aux naufragés. Ceux-ci s’installèrent dans l’île, et construisirent un bâtiment plus petit avec les débris des deux grands. Quelques matelots restèrent volontairement à Vanikoro. Les autres, affaiblis, malades, partirent avec La Pérouse. Ils se dirigèrent vers les îles Salomon, et ils périrent, corps et biens, sur la côte occidentale de l’île principale du groupe, entre les caps Déception et Satisfaction !

— Et comment le savez-vous ? m’écriai-je.

— Voici ce que j’ai trouvé sur le lieu même de ce dernier naufrage ! »

Le capitaine Nemo me montra une boîte de fer-blanc, estampillée aux armes de France, et toute corrodée par les eaux salines. Il l’ouvrit, et je vis une liasse de papiers jaunis, mais encore lisibles.

C’étaient les instructions même du ministre de la Marine au commandant La Pérouse, annotées en marge de la main de Louis XVI !

« Ah ! c’est une belle mort pour un marin ! dit alors le capitaine Nemo. C’est une tranquille tombe que cette tombe de corail, et fasse le ciel que, mes compagnons et moi, nous n’en ayons jamais d’autre ! »


CHAPITRE XX

LE DÉTROIT DE TORRÈS.


Pendant la nuit du 27 au 28 décembre, le Nautilus abandonna les parages de Vanikoro avec une vitesse excessive. Sa direction était sud-ouest, et, en trois jours, il franchit les sept cent cinquante lieues qui séparent le groupe de La Pérouse de la pointe sud-est de la Papouasie.