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aventures

était encore entouré d’un lambeau d’étoffe, arraché au vêtement de Nicolas Palander.

Ah ! quel espoir revint au cœur de sir John Murray ! Il ne doutait pas que ce grand singe ne fût porteur des registres volés ! Il fallait donc s’en emparer à tout prix, et pour cela, agir avec la plus grande circonspection. Un faux mouvement, et toute la bande décampait à travers le bois, sans qu’il fût possible de la rejoindre.

« Restez ici, dit Mokoum au foreloper. Son Honneur et moi, nous allons retrouver nos compagnons et prendre des mesures pour cerner la troupe. Mais surtout, ne perdez pas de vue ces maraudeurs ! »

Le foreloper demeura au poste assigné, et le bushman et sir John retournèrent auprès du colonel Everest.

Cerner la bande de cynocéphales, c’était, en effet, le seul moyen de saisir le coupable. Les Européens se divisèrent en deux détachements. L’un, composé de Mathieu Strux, de William Emery, de Michel Zorn et de trois matelots, dut rejoindre le foreloper et s’étendre en demi-cercle autour de lui. L’autre détachement, qui comprenait Mokoum, sir John, le colonel, Nicolas Palander et les trois autres marins, prit sur la gauche, de manière à tourner la position et à se rabattre sur la bande de singes.

Suivant la recommandation du bushman, on ne s’avança qu’avec une précaution extrême. Les armes étaient prêtes, et il était convenu que le chacma aux lambeaux d’étoffe serait le but de tous les coups.

Nicolas Palander, dont on avait peine à calmer l’ardeur, marchait près de Mokoum. Celui-ci le surveillait, dans la crainte que sa fureur ne lui fit faire quelque sottise. Et, en vérité, le digne astronome ne se possédait plus. C’était pour lui une question de vie ou de mort.

Après une demi-heure d’une marche semi-circulaire, et pendant laquelle les haltes avaient été fréquentes, le bushman jugea le moment venu de se rabattre. Ses compagnons, placés à la distance de vingt pas l’un de l’autre, s’avancèrent silencieusement. Pas un mot prononcé, pas un geste hasardé, pas un craquement de branches. On eût dit une troupe de Pawnies rampant sur une piste de guerre.

Soudain, le chasseur s’arrêta. Ses compagnons s’arrêtèrent aussitôt, le doigt sur la gâchette du fusil, le fusil prêt à être épaulé.

La bande des chacmas était en vue. Ces animaux avaient senti quelque chose. Ils se tenaient aux aguets. Un babouin d’une haute stature, — précisément le voleur de registres, — donnait des signes non équivoques d’inquiétude. Nicolas Palander avait reconnu son détrousseur de grand chemin. Seulement, ce singe ne paraissait pas avoir gardé les registres sur lui, ou du moins on ne les voyait pas.