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aventures

opération, une assez vaste étendue de terrain plane et horizontale sur une surface de plusieurs milles était nécessaire, et précisément les mouvements du sol, les extumescences si favorables à l’établissement des mires, s’opposaient à la mesure directe de la base. On allait donc toujours dans le nord-est, en suivant quelquefois la rive droite du Chobé, l’un des principaux tributaires du haut Zambèse, de manière à éviter Makèto, la principale bourgade des Makololos.

Sans doute, on pouvait espérer que le retour s’accomplirait ainsi dans des conditions favorables, que la nature ne jetterait plus devant les pas des astronomes ni obstacles ni difficultés matérielles, que la période des épreuves ne recommencerait pas. Le colonel Everest et ses compagnons parcouraient, en effet, une contrée relativement connue, et ils ne devaient pas tarder à rencontrer les bourgades et villages du Zambèse, que le docteur Livingstone avait visités naguère. Ils pensaient donc, non sans raison, que la partie la plus difficile de leur tâche était accomplie. Peut-être ne se trompaient-ils pas, et cependant, un incident, dont les conséquences pouvaient être de la plus haute gravité, faillit compromettre irréparablement les résultats de toute l’expédition.

Ce fut Nicolas Palander qui fut le héros, ou plutôt qui pensa être la victime de cette aventure.

On sait que l’intrépide, mais inconscient calculateur, absorbé par ses chiffres, se laissait entraîner parfois loin de ses compagnons. Dans un pays de plaine, cette habitude ne présentait pas grand danger. On se remettait rapidement sur la piste de l’absent. Mais dans une contrée boisée, les distractions de Palander pouvaient avoir des conséquences très graves. Aussi Mathieu Strux et le bushman lui firent-ils mille recommandations à cet égard. Nicolas Palander promettait de s’y conformer, tout en s’étonnant beaucoup de cet excès de prudence. Le digne homme ne s’apercevait même pas de ses distractions !

Or, précisément pendant cette journée du 27 mars, Mathieu Strux et le bushman passèrent plusieurs heures sans avoir aperçu Nicolas Palander. La petite troupe traversait de grands taillis, très fournis d’arbres, bas et touffus, qui limitaient extrêmement l’horizon. C’était donc le cas ou jamais de rester en groupe compact, car il eût été difficile de retrouver les traces d’une personne égarée dans ces bois. Mais Nicolas Palander, ne voyant et ne prévoyant rien, s’était porté, le crayon d’une main, le registre de l’autre, sur le flanc gauche de la troupe, et il n’avait pas tardé à disparaître.

Que l’on juge de l’inquiétude de Mathieu Strux et de ses compagnons quand, vers quatre heures du soir, ils ne retrouvèrent plus Nicolas Palan-