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de trois russes et de trois anglais

ils étaient résolus, ils étaient au-dessus de toute faiblesse, et ils attendirent sans crainte l’heure fatale.

Vers six heures du soir, au moment où la nuit se fit avec cette rapidité particulière aux régions intra-tropicales, le mécanicien descendit les rampes du Scorzef, et s’occupa de chauffer la chaudière de la chaloupe. Il va sans dire que le colonel Everest ne comptait fuir qu’à la dernière extrémité, et lorsqu’il ne serait plus possible de tenir dans le fortin. Il lui répugnait d’abandonner son observatoire, surtout pendant la nuit, car, à chaque moment, le fanal de William Emery et de Michel Zorn pouvait s’allumer au sommet du Volquiria.

Les autres marins furent disposés au pied des murailles de l’enceinte, avec ordre de défendre à tout prix l’entrée des brèches. Les armes étaient prêtes. La mitrailleuse, chargée et approvisionnée d’un grand nombre de cartouches, allongeait ses redoutables canons à travers l’embrasure.

On attendit pendant plusieurs heures. Le colonel Everest et l’astronome russe, postés dans l’étroit donjon, et se relayant tour à tour, examinaient incessamment le sommet du pic encadré dans le champ de leur lunette. L’horizon demeurait assez sombre, tandis que les plus belles constellations du firmament austral resplendissaient au zénith. Aucun souffle ne troublait l’atmosphère. Ce profond silence de la nature était imposant.

Cependant, le bushman, placé sur une saillie de roc, écoutait les bruits qui s’élevaient de la plaine. Peu à peu, ces bruits devinrent plus distincts. Mokoum ne s’était pas trompé dans ses conjectures ; les Makololos se préparaient à donner un assaut suprême au Scorzef.

Jusqu’à dix heures, les assiégeants ne bougèrent pas. Leurs feux avaient été éteints. Le camp et la plaine se confondaient dans la même obscurité. Soudain, le bushman entrevit des ombres qui se mouvaient sur les flancs de la montagne. Les assiégeants n’étaient pas alors à cent pieds du plateau que couronnait le fortin.

« Alerte ! alerte ! » cria Mokoum.

Aussitôt, la petite garnison se porta en dehors sur le front sud, et commença un feu nourri contre les assaillants. Les Makololos répondirent par leur cri de guerre, et malgré l’incessante fusillade, ils continuèrent de monter. À la lueur des détonations, on apercevait une fourmilière de ces indigènes, qui se présentaient en tel nombre que toute résistance semblait être impossible. Cependant, au milieu de cette masse, les balles, dont pas une ne se perdait, faisaient un carnage affreux. De ces Makololos, il en tombait par grappes, qui roulaient les uns sur les autres jusqu’au bas du mont. Dans l’intervalle si court des détonations, les assiégés pouvaient entendre leurs cris de bêtes fauves. Mais rien ne les arrêtait. Ils montaient toujours