Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/350

Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
aventures

plus sur ses bords, le Scorzef n’avait plus à les défendre, et les murailles qui le couronnaient s’en allaient pierre à pierre. De ce fortin, il ne restait qu’une enceinte découpée en forme de secteur, dont l’arc faisait face au sud, et la corde face au nord. Au centre de cette enceinte s’élevait une petite redoute casematée, percée de meurtrières, que surmontait un étroit donjon de bois dont le profil, réduit par la distance, avait servi de mire aux lunettes du colonel Everest. Mais, si ruiné qu’il fût, le fortin offrait encore une retraite sûre aux Européens. Derrière ces murailles faites d’un grès épais, armés comme ils l’étaient de fusils à tir rapide, ils pouvaient tenir contre une armée de Makololos, tant que les vivres et les munitions ne leur manqueraient pas, et achever peut-être leur opération géodésique.

Les munitions, le colonel et ses compagnons en avaient en abondance, car le coffre qui les contenait avait été placé dans le chariot servant au transport de la chaloupe à vapeur, et ce chariot, on le sait, les indigènes ne s’en étaient pas emparés.

Les vivres, c’était autre chose. Là était la difficulté. Les chariots d’approvisionnement n’avaient point échappé au pillage. Il n’y avait pas dans le fortin de quoi nourrir pendant deux jours les dix-huit hommes qui s’y trouvaient réunis, c’est-à-dire les trois astronomes anglais, les trois astronomes russes, les dix marins de la Queen and Tzar, le bushman et le foreloper.

C’est ce qui fut bien et dûment constaté par un inventaire minutieux fait par le colonel Everest et Mathieu Strux.

Cet inventaire terminé et le déjeuner du matin pris, — un déjeuner fort sommaire, — les astronomes et le bushman se réunirent dans la redoute casematée, tandis que les marins faisaient bonne garde autour des murailles du fortin.

On discutait cette circonstance très grave de la pénurie des vivres, et on ne savait qu’imaginer pour remédier à une disette certaine, sinon immédiate, quand le chasseur fit l’observation suivante :

« Vous vous préoccupez, messieurs, du défaut d’approvisionnements ; et vraiment, je ne vois pas ce qui vous inquiète. Nous n’avons de vivres que pour deux jours, dites-vous ? Mais qui nous oblige à rester deux jours dans ce fortin ? Ne pouvons-nous le quitter demain, aujourd’hui même ? Qui nous en empêche ? Les Makololos ? Mais ils ne courent pas les eaux du Ngami, que je sache, et, avec la chaloupe à vapeur, je me charge de vous conduire en quelques heures sur la rive septentrionale du lac ! »

À cette proposition, les savants se regardèrent et regardèrent le bushman. Il semblait vraiment que cette idée, si naturelle, ne leur fût pas venue à l’esprit !

Et en effet, elle ne leur était pas venue ! Elle ne pouvait venir à ces