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aventures

peut-être pouvons-nous tenter l’aventure, quoique j’eusse préféré marcher en plein jour sur ces terres qui avoisinent le Ngami ! Nos hommes ne demandent qu’à se porter en avant et à atteindre les eaux douces du lac. Nous allons partir, colonel.

— Quand il vous plaira, Mokoum ! » répondit le colonel Everest.

Cette décision approuvée de tous, les bœufs furent attelés aux chariots, les chevaux montés par leurs cavaliers, les instruments replacés dans les véhicules, et à sept heures du soir, le bushman ayant donné le signal du départ, la caravane, aiguillonnée par la soif, marcha droit au lac Ngami.

Par un certain instinct de batteur d’estrade, le bushman avait prié les trois Européens de prendre leurs armes et de se pourvoir de munitions. Lui-même, il portait le rifle dont sir John lui avait fait présent, et les cartouches ne manquaient pas à sa cartouchière.

On partit. La nuit était sombre. Un épais rideau de nuages voilait les constellations. Cependant l’atmosphère, dans sa couche la plus rapprochée du sol, était dégagée de brumes. Mokoum, doué d’une grande puissance de vision, observait sur les flancs et en avant de la caravane. Quelques mots qu’il avait dits à sir John prouvaient à l’honorable Anglais que le bushman ne considérait pas la contrée comme très sûre. Aussi, de son côté, sir John se tenait prêt à tout événement.

La caravane marcha pendant trois heures dans la direction du nord, mais elle se ressentait de son état de fatigue et d’épuisement, et n’allait pas vite. Souvent, il fallait s’arrêter pour rallier les retardataires. On n’avançait qu’à raison de trois milles à l’heure, et vers dix heures du soir, six milles séparaient encore la petite troupe des rives du Ngami. Les bêtes haletaient et pouvaient à peine respirer dans cette nuit étouffante, au milieu d’une atmosphère si sèche que l’hygromètre le plus sensible n’y eût pas trouvé trace d’humidité.

Bientôt, malgré les expresses recommandations du bushman, la caravane ne présenta plus un noyau compact. Les hommes et les animaux s’étendirent en une longue file. Quelques bœufs, à bout de forces, étaient tombés sur la route. Des cavaliers démontés se traînaient à peine, et ils eussent été facilement enlevés par le moindre parti d’indigènes. Aussi, Mokoum, inquiet, n’épargnant ni ses paroles ni ses gestes, allant de l’un à l’autre, cherchait à reconstituer sa troupe, mais il n’y parvenait pas, et déjà, sans qu’il s’en fût aperçu, un certain nombre de ses hommes lui manquaient.

À onze heures du soir, les chariots qui tenaient la tête ne se trouvaient plus qu’à trois milles du Scorzef. Malgré l’obscurité, ce mont isolé apparaissait assez distinctement, et se dressait dans l’ombre comme une énorme