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de trois russes et de trois anglais

Murray furent-ils très désappointés, quand William Emery, vers huit heures, se levant et montrant le nord, dit :

« Voici l’horizon qui se couvre, et je crains que la nuit ne nous soit pas aussi propice que nous l’espérions.

— En effet, répondit sir John, ce gros nuage s’élève sensiblement et avec le vent qui fraîchit, il ne tardera pas à envahir le ciel.

— Est-ce donc un nouvel orage qui se prépare ? demanda le colonel.

— Nous sommes dans la région intertropicale, répondit William Emery, et cela est à craindre ! Je crois que nos observations sont fort aventurées pour cette nuit.

— Qu’en pensez-vous, Mokoum ? » demanda le colonel Everest au bushman.

Le bushman observa attentivement le nord. Le nuage se délimitait par une ligne courbe très allongée, et aussi nette que si elle eût été tracée au compas. Le secteur qu’il découpait au-dessus de l’horizon présentait un développement de trois à quatre milles. Ce nuage, noirâtre comme une fumée, présentait un singulier aspect qui frappa le bushman. Parfois, le soleil couchant l’éclairait de reflets rougeâtres qu’il réfléchissait comme eût fait une masse solide, et non une agglomération de vapeurs.

« Un singulier nuage ! » dit Mokoum, sans s’expliquer davantage.

Quelques instants après, un des Bochjesmen vint prévenir le chasseur que les animaux, chevaux, bœufs et autres, donnaient des signes d’agitation. Ils couraient à travers le pâturage, et se refusaient à rentrer dans l’enceinte du campement.

« Eh bien, laissez-les passer la nuit au dehors ! répondit Mokoum.

— Mais les bêtes fauves ?

— Oh ! les bêtes fauves seront bientôt trop occupées pour faire attention à eux. »

L’indigène se retira. Le colonel Everest allait demander au bushman l’explication de cette étrange réponse. Mais Mokoum, s’étant éloigné de quelques pas, parut entièrement absorbé dans la contemplation de ce phénomène dont il soupçonnait évidemment la nature.

Le nuage s’approchait avec rapidité. On pouvait remarquer combien il était bas, et certainement, sa hauteur au-dessus du sol ne devait pas dépasser quelques centaines de pieds. Au sifflement du vent qui fraîchissait, se mêlait comme un « bruissement formidable, » si toutefois ces deux mots peuvent s’accoupler ensemble, et ce bruissement paraissait sortir du nuage lui-même.

En ce moment et au-dessus du nuage, un essaim de points noirs apparut sur le fond pâle du ciel. Ces points voltigeaient de bas en haut, plongeant