beau voyage dans les États scandinaves. Je n’hésitai pas, et voilà pourquoi le tender nous a déposés hier en votre présence.
— Mon cher Fabian, répondis-je, je crois que ni le capitaine Corsican ni vous ne regretterez votre décision. Une traversée de l’Atlantique sur ce grand bateau ne peut manquer d’être fort intéressante, même pour vous, si peu marins que vous soyez. Il faut avoir vu cela. Mais parlons de vous. Votre dernière lettre — et elle n’a pas six semaines de date — portait le timbre de Bombay. J’avais le droit de vous croire encore à votre régiment.
— Nous y étions, il y a trois semaines, répondit Fabian. Nous y menions cette existence moitié militaire, moitié campagnarde des officiers indiens, pendant laquelle on fait plus de chasses que de razzias. Je vous présente même le capitaine Archibald comme un grand destructeur de tigres. C’est la terreur des Jungles. Cependant, bien que nous soyons garçons et sans famille, l’envie nous a pris de laisser un peu de repos à ces pauvres carnassiers de la péninsule, et de venir respirer quelques molécules de l’air européen. Nous avons obtenu un congé d’un an, et aussitôt, par la mer Rouge, par Suez, par la France, nous sommes arrivés avec la rapidité d’un express dans notre vieille Angleterre.
— Notre vieille Angleterre ! répondit en souriant le capitaine Corsican, nous n’y sommes déjà plus, Fabian. C’est un navire anglais qui nous emporte, mais il est affrété par une compagnie française, et il nous conduit en Amérique. Trois pavillons différents flottent sur notre tête, et prouvent que nous foulons du pied un sol franco-anglo-américain.
— Qu’importe ! répondit Fabian, dont le front se rida un instant sous une impression douloureuse, qu’importe, pourvu que notre congé se passe ! Il nous faut du mouvement. C’est la vie. Il est si bon d’oublier le passé, et de tuer le présent par le renouvellement des choses autour de soi ! Dans quelques jours, nous serons à New York, où j’embrasserai ma sœur et ses enfants que je n’ai pas vus depuis plusieurs années. Puis nous visiterons les grands lacs. Nous redescendrons le Mississippi jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Nous ferons une battue sur l’Amazone. De l’Amérique nous sauterons en Afrique, où les lions et les éléphants se sont donné rendez-vous au Cap, pour fêter l’arrivée du capitaine Corsican, et de là, nous reviendrons imposer aux Cipayes les volontés de la métropole ! »
Fabian parlait avec une volubilité nerveuse, et sa poitrine se gonflait de soupirs. Il y avait évidemment dans sa vie un malheur que j’ignorais encore, et que ses lettres mêmes ne m’avaient pas laissé pressentir. Archibald Corsican me parut être au courant de cette situation. Il montrait une très-vive amitié pour Fabian, plus jeune que lui de quelques années. Il semblait être le frère aîné de Mac Elwin, ce grand capitaine anglais, dont le dévouement, à l’occasion, pouvait être porté jusqu’à l’héroïsme.