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aventures

temps en temps. S’il n’avait plus le temps de battre les taillis et de chasser les fauves de la contrée, en de certaines occasions ces animaux prirent la peine de venir à lui et tentèrent d’interrompre ses observations. Dans ce cas, le chasseur et le savant ne faisaient plus qu’un. Sir John se trouvait en état de légitime défense. Ce fut ainsi qu’il eut une rencontre sérieuse avec un vieux rhinocéros des environs dans la journée du 12 septembre, rencontre qui lui coûta « assez cher, » comme on le verra.

Depuis quelque temps, cet animal rôdait sur les flancs de la caravane. C’était un énorme « chucuroo », nom que les Bochjesmen donnent à ce pachyderme. Il mesurait quatorze pieds de longueur sur six de hauteur, et à la couleur noire de sa peau moins rugueuse que celles de ses congénères d’Asie, le bushman l’avait reconnu comme une bête dangereuse. Les espèces noires sont, en effet, plus agiles et plus agressives que les espèces blanches, et elles attaquent, même sans provocation, les animaux et les hommes.

Ce jour-là, sir John Murray, accompagné de Mokoum, était allé reconnaître à six milles de la station une hauteur sur laquelle le colonel Everest avait l’intention d’établir un poteau de mire. Par un certain pressentiment, il avait emporté son rifle, à balle conique, et non pas un simple fusil de chasse. Bien que le rhinocéros en question n’eût pas été signalé depuis deux jours, sir John ne voulait pas courir désarmé à travers un pays inconnu. Mokoum et ses camarades avaient donné la chasse au pachyderme, sans l’atteindre, et il était possible que l’énorme animal n’eût pas renoncé à ses desseins.

Sir John n’eut pas à regretter d’avoir agi en homme prudent. Son compagnon et lui étaient arrivés sans accident à la hauteur indiquée, et ils l’avaient gravie jusqu’à son sommet le plus escarpé, quand, à la base de cette colline, sur la lisière d’un taillis bas et peu serré, le « chucuroo » apparut soudain. Jamais sir John ne l’avait pu observer de si près. C’était vraiment une bête formidable. Ses petits yeux étincelaient. Ses cornes droites, un peu recourbées en arrière, posées l’une devant l’autre, d’égale longueur à peu près, soit deux pieds environ, et solidement implantées sur la masse osseuse des narines, formaient une arme redoutable.

Le bushman aperçut le premier l’animal, tapi à la distance d’un demi-mille sous un buisson de lentisques.

« Sir John, dit-il aussitôt, la fortune favorise votre Honneur ! Voilà le chucuroo !

— Le rhinocéros ! s’écria sir John, dont les yeux s’animèrent soudain.

— Oui, sir John, répondit le chasseur. C’est, comme vous le voyez, une bête magnifique, et qui paraît fort disposé à nous couper la retraite. Pour-