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de trois russes et de trois anglais

tes prairies, dominées çà et là par quelques ressauts du sol qui se prêtaient à l’établissement des mires, soit de nuit, soit de jour, et au bon fonctionnement des instruments. C’était, en même temps, une région admirablement pourvue de toutes les productions de la nature. La plupart des fleurs attiraient par leurs vifs parfums des essaims de scarabées, et plus particulièrement une sorte d’abeilles, peu différentes des abeilles européennes, qui déposaient dans les fentes des rocs ou les fissures des troncs un miel blanc, très liquide et d’un goût délicieux. Quelques grands animaux se hasardaient parfois la nuit aux environs des campements. C’étaient des girafes, diverses variétés d’antilopes, quelques fauves, hyènes ou rhinocéros, des éléphants aussi. Mais sir John ne voulait plus se laisser distraire. Sa main maniait la lunette de l’astronome, et non plus le rifle du chasseur.

Dans ces circonstances, Mokoum et quelques indigènes remplissaient l’office de pourvoyeurs, mais on peut croire que la détonation de leurs armes faisait battre le pouls de son Honneur. Sous les coups du bushman tombèrent deux ou trois grands buffles des prairies, ces Bokolokolos des Bétjuanas, qui mesurent quatre mètres du museau à la queue, et deux mètres du sabot à l’épaule. Leur peau noire présentait des reflets bleuâtres. C’étaient de formidables animaux à membres courts et vigoureux, à tête petite, aux yeux sauvages et dont le front farouche se couronnait d’épaisses cornes noires. Excellent surcroît de venaison fraîche, qui variait l’ordinaire de la caravane.

Les indigènes préparèrent cette viande de manière à la conserver presque indéfiniment, à la mode pemmicane, qui est si utilement employée par les Indiens du nord. Les Européens suivirent avec intérêt cette opération culinaire, à laquelle ils montrèrent d’abord quelque répugnance. La viande de buffle, après avoir été découpée en tranches minces et séchées au soleil, fut serrée dans une peau tannée, puis frappée à coups de fléaux qui la réduisirent en fragments presque impalpables. Ce n’était plus alors qu’une poudre de viande, de la chair pulvérisée. Cette poussière, enfermée dans des sacs de peau et très tassée, fut ensuite humectée de la graisse bouillante qui avait été recueillie sur l’animal lui-même. À cette graisse, un peu suiffeuse, il faut l’avouer, les cuisiniers africains ajoutèrent de la moelle fine, et quelques baies d’arbustes dont le principe saccharin devait, il semble, jurer avec les éléments azotés de la viande. Puis, cet ensemble fut mélangé, trituré, battu de manière à fournir par le refroidissement un tourteau dont la dureté égalait celle de la pierre.

La préparation était alors terminée. Mokoum pria les astronomes de goûter à ce mélange. Les Européens cédèrent aux instances du chasseur qui tenait à son pemmican comme à un mets national. Les pre-