Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
aventures

Ce jour-là, un incident se produisit qui doit être raconté avec détails, car ses conséquences menacèrent gravement l’avenir de l’expédition scientifique.

Le père principal de la Mission, aussitôt l’arrivée du messager, remit au colonel Everest une liasse de journaux européens. La plupart de ces numéros provenaient de la collection du Times, du Daily-News et du Journal des Débats. Les nouvelles qu’ils contenaient avaient, dans la circonstance, une importance toute spéciale, comme on en pourra juger.

Les membres de la commission étaient réunis dans la principale salle de la Mission. Le colonel Everest, après avoir détaché la liasse de journaux, prit un numéro du Daily-News du 13 mai 1854, afin d’en faire la lecture à ses collègues.

Mais à peine eut-il lu le titre du premier article de ce journal, que sa physionomie changea soudain, son front se plissa, et le numéro du journal trembla dans sa main. Après quelques instants, le colonel Everest parvint à se maîtriser, et il reprit son calme habituel.

Sir John Murray se leva alors, et s’adressant au colonel Everest :

« Que vous a donc appris ce journal ? lui demanda-t-il.

— Des nouvelles graves, messieurs, répondit le colonel Everest, des nouvelles très graves, que je vais vous communiquer ! »

Le colonel tenait toujours dans sa main le numéro du Daily-News. Ses collègues, le regard fixé sur lui, ne pouvaient se méprendre à son attitude. Ils attendaient impatiemment qu’il prît la parole.

Le colonel se leva. Au grand étonnement de tous, et principalement de celui qui était l’objet de cette démarche, il s’avança vers Mathieu Strux, et lui dit :

« Avant de communiquer les nouvelles contenues dans ce journal, monsieur, je désirerais vous faire une observation.

— Je suis prêt à vous entendre, » répondit l’astronome russe.

Le colonel Everest, d’un ton grave, lui dit alors :

« Jusqu’ici, monsieur Strux, des rivalités plus personnelles que scientifiques nous ont séparés, et ont rendu difficile notre collaboration à l’œuvre que nous avons entreprise dans un intérêt commun. Je crois qu’il faut attribuer cet état de choses uniquement à cette circonstance que nous étions placés tous les deux à la tête de cette expédition. Cette situation créait entre nous un antagonisme incessant. À toute entreprise, quelle qu’elle soit, il ne faut qu’un chef. N’est-ce pas votre avis ? »

Mathieu Strux inclina la tête en signe d’assentiment.

« Monsieur Strux, reprit le colonel, par suite de circonstances nouvelles, cette situation, pénible pour tous deux, va changer. Mais auparavant,