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aventures

pas, les Anglais et les Russes se sépareraient, attendu « qu’il est des choses que l’on ne peut supporter, même de la part d’un collègue ».

Là dessus, sir John Murray, très inquiet, alla se coucher, et, très fatigué de sa journée de chasse, il ne tarda pas à s’endormir.

Vers onze heures du soir, il fut subitement réveillé. Une agitation insolite s’était emparée des indigènes. Ils allaient et venaient au milieu du camp.

Sir John se leva aussitôt, et trouva tous ses compagnons sur pied.

La forêt était en feu.

Quel spectacle ! Dans cette nuit obscure, sur le fond noir du ciel, le rideau de flammes semblait s’élever jusqu’au zénith. En un instant, l’incendie s’était développé sur une largeur de plusieurs milles.

Sir John Murray regarda Mokoum, qui se tenait près de lui, immobile. Mais Mokoum ne répondit pas à son regard. Sir John avait compris. Le feu allait frayer un chemin aux savants à travers cette forêt plusieurs fois séculaire.

Le vent, soufflant du sud, favorisait les projets du bushman. L’air se précipitant comme s’il fût sorti des flancs d’un ventilateur, activait l’incendie et saturait d’oxygène ce brasier ardent. Il avivait les flammes, il arrachait des brandons, des branches ignescentes, des charbons incandescents, et il les portait au loin, dans les taillis épais qui devenaient aussitôt de nouveaux centres d’embrasement. Le théâtre du feu s’élargissait et se creusait de plus en plus. Une chaleur intense se développait jusqu’au campement. Le bois mort, entassé sous les sombres ramures, pétillait. Au milieu des nappes de flammes, quelques éclats plus vifs produisaient soudain des épanouissements de lumière. C’étaient les arbres résineux qui s’allumaient comme des torches. De là, de véritables arquebusades, des pétillements, des crépitations distinctes, suivant la nature des essences forestières, puis des détonations produites par de vieux troncs de bois de fer qui éclataient comme des bombes. Le ciel reflétait cet embrasement gigantesque. Les nuages, d’un rouge ardent, semblaient prendre feu comme si l’incendie se fût propagé jusque dans les hauteurs du firmament. Des gerbes d’étincelles constellaient la voûte noire au milieu des tourbillons d’une épaisse fumée.

Puis, des hurlements, des ricanements, des beuglements d’animaux, se firent entendre sur tous les côtés de la forêt incendiée. Des ombres passaient, des troupes effarées, filant en toute direction, de grands spectres sombres que leurs rugissements formidables trahissaient dans la bande des fuyards. Une insurmontable épouvante entraînait ces hyènes, ces buffles, ces lions, ces éléphants, jusqu’aux dernières limites du sombre horizon.