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de trois russes et de trois anglais

gagner l’isthme étroit qui devait les conduire près de Nicolas Palander.

Ils n’avaient pas fait deux cents pas, quand les crocodiles, quittant les profondeurs de l’eau, commencèrent à ramper sur le sol, marchant droit à leur proie.

Le savant ne voyait rien. Ses yeux ne quittaient pas son carnet. Sa main traçait encore des chiffres.

« Du coup d’œil, du sang-froid, ou il est perdu ! » murmura le chasseur à l’oreille de sir John.

Tous deux, alors, mirent genoux à terre, et visant les reptiles les plus rapprochés, ils firent feu. Une double détonation retentit. Deux des monstres, l’épine dorsale brisée, culbutèrent dans l’eau, et le reste de la bande disparut en un instant sous la surface du lac.

Au bruit des armes à feu, Nicolas Palander avait enfin relevé la tête. Il reconnut ses compagnons, et courant vers eux, en agitant son carnet :

« J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! s’écriait-il.

— Et qu’avez-vous trouvé, monsieur Palander ? lui demanda sir John.

— Une erreur de décimale dans le cent troisième logarithme de la table de James Wolston ! »

En effet, il avait trouvé cette erreur, le digne homme ! Il avait découvert une erreur de logarithme ! Il avait droit à la prime de cent livres promise par l’éditeur James Wolston ! Et, depuis quatre jours qu’il errait dans ces solitudes, voilà à quoi avait passé son temps le célèbre astronome de l’observatoire d’Helsingfors !



CHAPITRE XII

une station au goût de sir john.


Enfin, le calculateur russe était retrouvé. Lorsqu’on lui demanda comment il avait vécu pendant ces quatre jours, il ne put le dire. Avait-il eu conscience des dangers qu’il courait ainsi, ce n’était pas probable. Quand on lui raconta l’incident des crocodiles, il ne voulut pas y croire et prit la chose pour une plaisanterie. Avait-il eu faim ? pas davantage. Il s’était nourri de chiffres, et si bien nourri, qu’il avait relevé cette erreur dans sa table de logarithmes !

En présence de ses collègues, Mathieu Strux, par amour-propre national, ne voulut faire aucun reproche à Nicolas Palander ; mais, dans le particulier, on est fondé à croire que l’astronome russe reçut une