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de trois russes et de trois anglais

— Colonel, s’écria Mathieu Strux, dont les yeux lançaient des éclairs, vos paroles…

— Mes paroles sont toutes pesées, monsieur, et cela dit, nous entendons qu’à compter de ce moment jusqu’au moment où nous aurons retrouvé votre calculateur toute opération soit suspendue ! Êtes-vous prêt à partir ?

— J’étais prêt avant même que vous n’eussiez prononcé une seule parole ! » répondit aigrement Mathieu Strux.

Sur ce, les deux adversaires regagnèrent chacun son chariot, car la caravane venait d’arriver.

Sir John Murray qui accompagnait le colonel Everest ne put s’empêcher de lui dire :

« Il est encore heureux que ce maladroit n’ait pas égaré avec lui le double registre des mesures.

— C’est à quoi je pensais, » répondit simplement le colonel.

Les deux Anglais interrogèrent alors le chasseur Mokoum. Le chasseur leur apprit que Nicolas Palander avait disparu depuis deux jours ; qu’on l’avait vu pour la dernière fois sur le flanc de la caravane à la distance de douze milles du campement ; que lui, Mokoum, aussitôt la disparition du savant, s’était mis à sa recherche, ce qui avait retardé son arrivée ; que ne le trouvant pas, il avait voulu voir si, par hasard, ce « calculateur » n’aurait pas rejoint ses compagnons au nord du Nosoub. Or, puisqu’il n’en était rien, il proposait de diriger les recherches vers le nord-est, dans la partie boisée du pays, ajoutant qu’il n’y avait pas une heure à perdre si l’on voulait retrouver vivant le sieur Nicolas Palander.

En effet, il fallait se hâter. Depuis deux jours, le savant russe errait à l’aventure dans une région que les fauves parcouraient fréquemment. Ce n’était point un homme à se tirer d’affaires, ayant toujours vécu dans le domaine des chiffres, et non dans le monde réel. Où tout autre eût trouvé une nourriture quelconque, le pauvre homme mourrait inévitablement d’inanition. Il importait donc de le secourir au plus tôt.

À une heure, le colonel Everest, Mathieu Strux, sir John Murray et les deux jeunes astronomes quittaient le campement, guidés par le chasseur. Tous montaient de rapides chevaux, même le savant russe qui se cramponnait à sa monture d’une façon grotesque, et maugréait entre ses dents contre l’infortuné Palander qui lui valait une telle corvée. Ses compagnons, gens graves et « comme il faut, » voulurent bien ne pas remarquer les attitudes divertissantes que l’astronome de Poulkowa prenait sur son cheval, bête vive et très sensible de la bouche.

Avant de quitter le campement, Mokoum avait prié le foreloper de