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aventures

ming, des Baldwin, et c’est aussi l’un des plus admirables spécimens de la faune australe.

Mais ce qui fit battre le cœur du chasseur anglais, ce furent certaines traces que le bushman lui montra sur la lisière d’un épais taillis, non loin d’une vaste et profonde mare, entourée de gigantesques euphorbes, et dont la surface était toute constellée des corolles bleu-ciel du lys d’eau.

« Monsieur, lui dit Mokoum, si demain, vers les premières heures du jour, Votre Honneur veut venir à l’affût en cet endroit, je lui conseillerai, cette fois, de ne point oublier sa carabine.

— Qui vous fait parler ainsi, Mokoum ? demanda sir John Murray.

— Ces empreintes fraîches que vous voyez sur la terre humide.

— Quoi ! ces larges traces sont des empreintes d’animaux ? Mais alors les pieds qui les ont faites ont plus d’une demi-toise de circonférence !

— Cela prouve tout simplement, répondit le bushman, que l’animal qui laisse de pareilles empreintes mesure au moins neuf pieds à la hauteur de l’épaule.

— Un éléphant ! s’écria sir John Murray.

— Oui, Votre Honneur, et, si je ne me trompe, un mâle adulte parvenu à toute sa croissance.

— À demain donc, bushman.

— À demain, Votre Honneur. »

Les deux chasseurs revinrent au campement, rapportant les « harrisbucks » qui avaient été chargés sur le cheval de sir John Murray. Ces belles antilopes, si rarement capturées, provoquèrent l’admiration de toute la caravane. Tous félicitèrent sir John, sauf peut-être le grave Mathieu Strux, qui, en fait d’animaux, ne connaissait guère que la Grande-Ourse, le Dragon, le Centaure, Pégase et autres constellations de la faune céleste.

Le lendemain, à quatre heures, les deux compagnons de chasse, immobiles sur leurs chevaux, les chiens à leur côté, attendaient au milieu d’un épais taillis l’arrivée de la troupe de pachydermes. À de nouvelles empreintes, ils avaient reconnu que les éléphants venaient par bande se désaltérer à la mare. Tous deux étaient armés de carabines rayées à balles explosives. Ils observaient le taillis depuis une demi-heure environ, immobiles et silencieux, quand ils virent le sombre massif s’agiter à cinquante pas de la mare.

Sir John Murray avait saisi son fusil, mais le bushman lui retint la main et lui fit signe de modérer son impatience.

Bientôt, de grandes ombres apparurent. On entendait les fourrés s’ouvrir sous une pression irrésistible ; le bois craquait ; les broussailles écrasées crépitaient sur le sol ; un souffle bruyant passait à travers les ramures.