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— Par le Godavery, qui m’a débarqué avant-hier à Liverpool.

— Et vous voyagez, Fabian ?… lui demandai-je en observant sa figure pâle et triste.

— Pour me distraire, si je le puis, », répondit, en me pressant la main avec émotion, le capitaine Fabian Mac Elwin.


IV


Fabian m’avait quitté pour surveiller son installation dans la cabine 73, de la série du grand salon, dont le numéro était porté sur son billet. En ce moment, de grosses volutes de fumée tourbillonnaient à l’orifice des larges cheminées du steam-ship. On entendait frémir la coque des chaudières jusque dans les profondeurs du navire. La vapeur assourdissante fusait par les tuyaux d’échappement et retombait en pluie fine sur le pont. Quelques remous bruyants annonçaient que les machines s’essayaient. L’ingénieur avait de la pression. On pouvait partir.

Il fallut d’abord lever l’ancre. Le flot montait encore, et le Great-Eastern, évité sous sa poussée, lui présentait l’avant. Il était donc tout paré pour descendre la rivière. Le capitaine Anderson avait dû choisir ce moment pour appareiller, car la longueur du Great-Eastern ne lui permettait pas d’évoluer dans la Mersey. N’étant point entraîné par le jusant, mais, au contraire, refoulant le flot rapide, il était plus maître de son navire et plus certain de manœuvrer habilement au milieu des bâtiments nombreux qui sillonnaient la rivière. Le moindre attouchement de ce colosse eût été désastreux.

Lever l’ancre dans ces conditions exigeait des efforts considérables. En effet, le steam-ship, poussé par le courant, tendait les chaînes sur lesquelles il était affourché. De plus, un vent violent du sud-ouest trouvait prise sur sa masse et joignait son action à celle du flux. Il fallait donc employer de puissants engins pour arracher les ancres pesantes de leur fond de vase. Un « anchor-boat », sorte de bateau destiné à cette opération, était venu se bosser sur les chaînes ; mais ses cabestans ne suffirent pas, et l’on dut se servir des appareils mécaniques que le Great-Eastern avait à sa disposition.

À l’avant, une machine de la force de soixante-dix chevaux était disposée pour le hissage des ancres. Il suffisait d’envoyer la vapeur des chaudières dans ses cylindres pour obtenir immédiatement une force considérable, qu’on pouvait directement appliquer au cabestan sur lequel les chaînes étaient garnies. Ce fut fait. Mais, si puissante qu’elle fût, la machine se trouva insuffisante. Il fallut donc lui venir en aide. Le capitaine Anderson fit mettre les barres, et une cinquantaine d’hommes vinrent virer au cabestan.