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bordé extérieur fut soigneusement réparée à grands frais. On procéda alors à l’installation des nouvelles chaudières. On dut changer aussi l’arbre moteur des roues, qui avait été faussé pendant le dernier voyage ; cet arbre, coudé en son milieu pour recevoir la bielle des pompes, fut remplacé par un arbre muni de deux excentriques, ce qui assurait la solidité de cette pièce importante sur laquelle porte tout l’effort. Enfin et pour la première fois, le gouvernail allait être mû par la vapeur.

C’est à cette délicate manœuvre que les mécaniciens destinaient la machine qu’ils ajustaient à l’arrière. Le timonier, placé sur la passerelle du centre, entre les appareils à signaux des roues et de l’hélice, avait sous les yeux un cadran pourvu d’une aiguille mobile, qui lui donnait à chaque instant la position de sa barre. Pour la modifier, il se contentait d’imprimer un léger mouvement à une petite roue mesurant à peine un pied de diamètre et dressée verticalement à portée de sa main. Aussitôt des valves s’ouvraient ; la vapeur des chaudières se précipitait par de longs tuyaux de conduite dans les deux cylindres de la petite machine ; les pistons se mouvaient avec rapidité, les transmissions agissaient, et le gouvernail obéissait instantanément à ses drosses irrésistiblement entraînées. Si ce système réussissait, un homme gouvernerait, d’un seul doigt, la masse colossale du Great-Eastern.

Pendant cinq jours, les travaux continuèrent avec une activité dévorante. Ces retards nuisaient considérablement à l’entreprise des affréteurs ; mais les entrepreneurs ne pouvaient faire plus. Le départ fut irrévocablement fixé au 26 mars. Le 25, le pont du steam-ship était encore encombré de tout l’outillage supplémentaire.

Enfin, pendant cette dernière journée, les passavants, les passerelles, les roufles se dégagèrent peu à peu ; les échafaudages furent démontés ; les grues disparurent ; l’ajustement des machines s’acheva ; les dernières chevilles furent frappées, et les derniers écrous vissés ; les pièces polies se couvrirent d’un enduit blanc qui devait les préserver de l’oxydation pendant le voyage ; les réservoirs d’huile se remplirent ; la dernière plaque reposa enfin sur sa mortaise de métal. Ce jour-là, l’ingénieur en chef fit l’essai des chaudières. Une énorme quantité de vapeur se précipita dans la chambre des machines. Penché sur l’écoutille, enveloppé dans ces chaudes émanations, je ne voyais plus rien ; mais j’entendais les longs pistons gémir à travers leurs boîtes à étoupes, et les gros cylindres osciller avec bruit sur leurs solides tourillons. Un vif bouillonnement se produisait sous les tambours, pendant que les pales frappaient lentement les eaux brumeuses de la Mersey. À l’arrière, l’hélice battait les flots de sa quadruple branche. Les deux machines, entièrement indépendantes l’une de l’autre, étaient prêtes à fonctionner.

Vers cinq heures du soir, une chaloupe à vapeur vint accoster. Elle