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parler qui me va. Amène ton neveu ; mais, si je ne trouve pas dans son oncle le gaillard solide que tu prétends être, l’oncle aura affaire à moi. Va, et sois revenu dans une heure. »

Crockston ne se le fit pas dire deux fois. Il salua assez gauchement le capitaine du Delphin, et regagna le quai. Une heure après, il était de retour à bord avec son neveu, un garçon de quatorze à quinze ans, un peu frêle, un peu malingre, avec un air timide et étonné, et qui n’annonçait pas devoir tenir de son oncle pour l’aplomb moral et les qualités vigoureuses du corps. Crockston même était obligé de l’exciter par quelques bonnes paroles d’encouragement.

« Allons, disait-il, hardi là ! On ne nous mangera pas, que diable ! D’ailleurs, il est encore temps de s’en aller.

— Non, non ! répondit le jeune homme, et que Dieu nous protège. »

Le jour même, le matelot Crockston et le novice John Stiggs étaient inscrits sur le rôle d’équipage du Delphin.

Le lendemain matin, à cinq heures, les feux du steamer furent activement poussés ; le pont tremblotait sous les vibrations de la chaudière, et la vapeur s’échappait en sifflant par les soupapes. L’heure du départ était arrivée.

Une foule assez considérable se pressait, malgré l’heure matinale, sur les quais et sur Glasgow-Bridge. On venait saluer une dernière fois le hardi steamer. Vincent Playfair était là pour embrasser le capitaine James, mais il se conduisit en cette circonstance comme un vieux Romain du bon temps. Il eut une contenance héroïque, et les deux gros baisers dont il gratifia son neveu étaient l’indice d’une âme vigoureuse.

« Va, James, dit-il au jeune capitaine, va vite, et reviens plus vite encore. Surtout n’oublie pas d’abuser de la position. Vends cher, achète bon marché, et tu auras l’estime de ton oncle. »

Sur cette recommandation, empruntée au Manuel du parfait négociant, l’oncle et le neveu se séparèrent, et tous les visiteurs quittèrent le bord.

En ce moment, Crockston et John Stiggs se tenaient l’un près de l’autre sur le gaillard d’avant, et le premier disait au second :

« Ça va bien, ça va bien ! Avant deux heures nous serons en mer, et j’ai bonne idée d’un voyage qui commence de cette façon-là ! »

Pour toute réponse, le novice serra la main de Crockston.

James Playfair donnait alors ses derniers ordres pour le départ.

« Nous avons de la pression ? demanda-t-il à son second.

— Oui, capitaine, répondit Mr. Mathew.

— Eh bien, larguez les amarres. »

La manœuvre fut immédiatement exécutée. Les hélices se mirent en mouvement. Le Delphin s’ébranla, passa entre les navires du port, et disparut bientôt aux yeux de la foule qui le saluait de ses dernier hurrahs.

La descente de la Clyde s’opéra facilement. On peut dire que cette rivière