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J’entendis des sanglots qui gonflaient la poitrine de la jeune femme. Des paroles inarticulées sortaient de ses lèvres. Elle semblait vouloir parler et ne pas le pouvoir. Enfin, ces mots s’échappèrent :

« Dieu ! mon Dieu ! Dieu tout-puissant ! Où suis-je ? où suis-je ? »

Elle eut alors conscience que quelqu’un était près d’elle, et, se retournant à demi, elle nous apparut, transfigurée. Un regard nouveau vivait dans ses yeux. Fabian, tremblant, était debout devant elle, muet, les bras ouverts. « Fabian ! Fabian ! » s’écria-t-elle enfin. Fabian la reçut dans ses bras où elle tomba inanimée. Il poussa un cri déchirant. Il croyait Ellen morte. Mais le docteur intervint :

« Rassurez-vous, dit-il à Fabian, cette crise, au contraire, la sauvera ! »

Elle fut transportée à Clifton-House, et placée sur son lit, où, son évanouissement dissipé, elle s’endormit d’un paisible sommeil.

Fabian, encouragé par le docteur et plein d’espoir, — Ellen l’avait reconnu ! — revint vers nous :

« Nous la sauverons, me dit-il, nous la sauverons ! Chaque jour j’assiste à la résurrection de cette âme. Aujourd’hui, demain peut-être, mon Ellen me sera rendue ! Ah ! Ciel clément, sois béni ! Nous resterons en ce lieu, tant qu’il le faudra pour elle ! N’est-ce pas, Archibald ? »

Le capitaine serra avec effusion Fabian sur sa poitrine. Fabian s’était retourné vers moi, vers le docteur. Il nous prodiguait ses tendresses. Il nous enveloppait de son espoir. Et jamais espoir ne fut plus fondé. La guérison d’Ellen était prochaine…

Mais il nous fallait partir. Une heure à peine nous restait pour regagner Niagara-Falls. Au moment où nous allions nous séparer de ces chers amis, Ellen dormait encore. Fabian nous embrassa, le capitaine Corsican, très ému, après avoir promis qu’un télégramme me donnerait des nouvelles d’Ellen, nous fit ses derniers adieux, et à midi nous avions quitté Clifton-House.


XXXIX


Quelques instants après, nous descendions une rampe très-allongée de la côte canadienne. Cette rampe nous conduisit au bord de la rivière, presque entièrement obstruée de glaces. Là, un canot nous attendait pour nous passer « en Amérique ». Un voyageur y avait déjà pris place. C’était un ingénieur du Kentucky, qui déclina ses nom et qualités au docteur. Nous embarquâmes sans perdre de temps, et soit en repoussant les glaçons, soit en les divisant, le canot gagna le milieu de la rivière où le courant tenait la passe plus libre. De là, un dernier regard fut donné à