Cette tour ronde, haute de quarante-cinq pieds, est construite en pierre. Au sommet se développe un balcon circulaire, autour d’un faîtage recouvert d’un stuc rougeâtre. L’escalier tournant est en bois. Des milliers de noms sont gravés sur ses marches. Une fois arrivé au haut de cette tour, on s’accroche au balcon et on regarde.
La tour est en pleine cataracte. De son sommet le regard plonge dans l’abîme. Il s’enfonce jusque dans la gueule de ces monstres de glace qui avalent le torrent. On sent frémir le roc qui supporte la tour. Autour se creusent des dénivellations effrayantes, comme si le lit du fleuve cédait. On ne s’entend plus parler. De ces gonflements d’eau sortent des tonnerres. Les lignes liquides fument et sifflent comme des flèches. L’écume saute jusqu’au sommet du monument. L’eau pulvérisée se déroule dans l’air en formant un splendide arc-en-ciel.
Par un simple effet d’optique, la tour semble se déplacer avec une vitesse effrayante, — mais à reculons de la chute, fort heureusement, — car, avec l’illusion contraire, le vertige serait insoutenable, et nul ne pourrait considérer ce gouffre.
Haletants, brisés, nous étions rentrés un instant sur le palier supérieur de la tour. C’est alors que le docteur crut devoir me dire :
« Cette Terrapin-Tower, mon cher monsieur, tombera quelque jour dans l’abîme, et peut-être plus tôt qu’on ne suppose.
— Ah ! vraiment !
— Ce n’est pas douteux. La grande chute canadienne recule insensiblement, mais elle recule. La tour, quand elle fut construite, en 1833, était beaucoup plus éloignée de la cataracte. Les géologues prétendent que la chute, il y a trente-cinq mille ans, se trouvait située à Queenstown, à sept milles en aval de la position qu’elle occupe maintenant. D’après M. Bakewell, elle reculerait d’un mètre par année, et, suivant sir Charles Lyell, d’un pied seulement. Il arrivera donc un moment où le roc qui supporte la tour, rongé par les eaux, glissera sur les pentes de la cataracte. Eh bien, cher monsieur, rappelez-vous ceci : le jour où tombera la Terrapin-Tower, il y aura dedans quelques excentriques qui descendront le Niagara avec elle. »
Je regardai le docteur comme pour lui demander s’il serait au nombre de ces originaux. Mais il me fit signe de le suivre, et nous vînmes de nouveau contempler le « horse-shoe-fall » et le paysage environnant. On distinguait alors, un peu en raccourci, la chute américaine, séparée par la pointe de l’île, où s’est formée aussi une petite cataracte centrale, large de cent pieds. Cette chute américaine, également admirable, est droite, non sinueuse, et sa hauteur a cent soixante-quatre pieds d’aplomb. Mais, pour la contempler dans tout son développement, il faut se placer en face de la rivière canadienne.