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un drame en livonie.

peu de chose, vingt mille roubles en billets,[1] — qu’il remit à Dimitri Nicolef, chargé de garder ce dépôt pour son fils.

Le dépôt fut accepté, même si secrètement gardé qu’Ilka n’en eut jamais connaissance, et il demeura entre les mains du dépositaire tel qu’il lui avait été remis.

On le sait, si la fidélité devait jamais être bannie de ce bas monde, c’est en Livonie qu’elle aurait trouvé son dernier refuge. Là se rencontrent encore ces étonnants fiancés qui ne s’épousent qu’après vingt ou vingt-cinq ans d’une cour assidue. Et, le plus souvent, s’ils attendent pour s’unir, c’est que leur position n’est pas suffisamment faite, et il convient qu’elle le soit.

En ce qui concernait Wladimir et Ilka, rien de semblable. Aucune question de fortune ne s’était dressée entre eux. La jeune fille n’avait rien, et elle savait que le jeune avocat ne demandait rien, ignorant même ce que lui laisserait son père. Mais le talent, l’intelligence ne lui manquaient pas et l’avenir ne l’effrayait ni pour sa femme, ni pour lui, ni pour la famille qui viendrait d’eux.

Wladimir parti pour l’exil, Ilka était sûre qu’il ne l’oublierait pas plus qu’elle ne l’oublierait elle-même. Ce pays n’était-il pas celui des « âmes sœurs » ? Ces âmes, trop souvent, ne parviennent pas à se joindre sur la terre, si Dieu n’est pitoyable à leur amour, et, sans jamais se détacher l’une de l’autre, elles se confondent dans l’éternité quand elles n’ont pu s’unir en ce monde.

Ilka attendait, et tout son cœur était là-bas avec l’exilé. Elle attendait qu’une grâce, si improbable, hélas ! le ramenât près d’elle. Elle attendait qu’une permission lui ouvrît le chemin pour aller près de lui. Elle n’était plus seulement sa fiancée, elle se considérait comme sa femme. Et pourtant, si elle partait, que

  1. Environ 54,000 francs.