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un drame en livonie.

aux prodiges d’économie de sa sœur, le jeune étudiant avait pu suffire aux exigences d’une assez dispendieuse instruction en dehors de la maison paternelle.

En effet, Dimitri Nicolef n’avait pour tout revenu que le produit des leçons qu’il donnait chez lui ou en ville. Professeur libre pour les sciences mathématiques et physiques, très instruit, très apprécié, il était, on le savait, sans patrimoine. Ce métier n’engendre guère la fortune, et en Russie moins qu’ailleurs. Si elle eût pu s’acquérir par l’estime publique, Dimitri Nicolef aurait été millionnaire, l’un des plus riches de Riga, où son honorabilité lui assignait le premier rang parmi ses concitoyens, — de race slave s’entend. Et, pour n’avoir aucun doute à cet égard, il suffira de prendre part à la conversation du docteur Hamine et du consul, en attendant le retour du professeur.

Cet entretien se faisait en langue russe, que M. Delaporte parlait aussi purement que les Russes de distinction parlent la langue française.

« Eh bien, docteur, dit ce dernier, vous voici à la veille d’un mouvement qui aura pour résultat de modifier les conditions politiques de l’Esthonie, de la Livonie et de la Courlande… Les journaux esthes, avec tout le charme de leur langage aryen, le font pressentir !…

— L’évolution viendra graduellement, répondit le docteur, et ce ne sera pas trop tôt, lorsque l’administration, les municipalités auront été enlevées aux corporations allemandes ! N’est-ce pas une anomalie inacceptable que des Germains aient la direction politique de nos provinces ?…

— Et, par malheur, lorsqu’ils ne l’auront plus, fit observer Ilka, ne seront-ils pas encore tout-puissants par la force de l’argent, puisqu’ils sont presque seuls à détenir les terres et les places ?…

— Les places, répondit M. Delaporte, on pourra les leur enlever… Quant aux terres, ce sera difficile, pour ne pas dire impossible !…