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slave pour slave.

Stupéfait, le fugitif ne sut que répondre. Le brave meunier savait donc qu’il était là ?… Il l’avait donc vu se réfugier dans le moulin ?… Oui, pendant son sommeil, il était monté au galetas, il l’avait vu et il s’était gardé de le réveiller. N’était-ce pas un Russe comme lui ?… Cela se reconnaît entre Slaves à l’expression du visage… Il avait compris que la police livonienne traquait cet homme… Pourquoi ?… Il ne voulait pas même le lui demander, pas plus qu’il n’aurait voulu le livrer au brigadier Eck et à ses agents.

« Descends », reprit-il d’une voix douce.

Le cœur battant sous le flux de l’émotion, le fugitif gagna l’étage inférieur, dont l’une des portes était ouverte.

« Voici quelques provisions, dit le meunier, en bourrant de pain et de viande la musette du fugitif… J’ai vu qu’elle était vide, ainsi que ta gourde… Remplis-la, et pars…

— Mais… si la police apprend…

— Tâche de la dépister, et ne t’inquiète pas de moi… Je ne te demande pas qui tu es… Je ne sais que ceci : c’est que tu es slave, et jamais un Slave ne livrera un Slave à des policiers allemands.

— Merci… merci ! s’écria le fugitif.

— Va, petit père !… Que Dieu te conduise et te pardonne, si tu as à te faire pardonner ? »

La nuit était très noire, la route qui passait au pied du tertre absolument déserte. Le fugitif adressa au meunier un dernier geste d’adieu et disparut.

Conformément au nouvel itinéraire adopté, il s’agissait d’atteindre pendant la nuit la bourgade de Fallen, de se cacher aux environs pour y reposer la journée suivante. Une quarantaine de verstes, le fugitif les ferait… Il ne serait plus alors qu’à soixante verstes de Pernau. Puis, en deux étapes, si aucune mauvaise rencontre ne le retardait, il comptait arriver à Pernau