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en face de la foule.

Nicolef, puisque celui-ci n’avait donné aucune explication à ce sujet.

Il est même à remarquer qu’en racontant sur quels points porta son interrogatoire devant le juge d’instruction, le professeur n’avait fait aucune allusion à son voyage, ni dit que le magistrat s’était enquis des motifs pour lesquels il avait quitté Riga ni qu’il eût refusé de répondre à cet égard. Cette obstination à se taire sur ce sujet devait sembler au moins étrange. Mais peut-être s’expliquerait-il plus tard. Les raisons pour lesquelles il s’était absenté pendant trois jours ne pouvaient être qu’honorables, et non moins honorables celles pour lesquelles il persistait à ne point parler.

Et pourtant, puisqu’il semblait inadmissible qu’un homme de son rang et de sa situation eût commis ce crime, d’un mot, sans doute, il aurait pu confondre l’accusation, et ce mot il s’entêtait à ne point le prononcer.

Toutefois, la non-arrestation de Dimitri Nicolef, à la suite de sa comparution devant le juge Kerstorf, avait produit un soulèvement de l’opinion dans la ville, surtout chez les Allemands, en si grande majorité. La famille Johausen, son entourage, la noblesse et la bourgeoisie, se dépensaient en récriminations. On accusait le gouverneur et le colonel Raguenof d’être favorables au professeur, en raison de son origine. Tout autre qu’un Slave, sous le coup d’une telle accusation, eût été déjà enfermé dans la prison de la forteresse.

Et alors, pourquoi ne le traitait-on pas comme un vulgaire bandit ?… Méritait-il plus de ménagements qu’un Karl Moor, un Jean Sbogar, un Jéromir ?… Ce n’étaient pas de simples présomptions qui s’élevaient contre lui, c’étaient des certitudes, et la justice le laissait libre, et il pourrait s’enfuir, et il ne serait pas traduit devant le jury qui, cependant, n’hésiterait pas à le condamner !… Il est vrai, elle serait trop douce, cette condam-