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LES QUATRE JOURS QUI SUIVENT

Mais sur son chemin, il avait rencontré la blatte en question, et comme sa prétention, — justifiée d’ailleurs contre certains entomologistes, — était de prouver que les blattes du genre phoraspés, remarquables par leurs couleurs, ont des mœurs très différentes des blattes proprement dites, il s’était mis à l’étude, oubliant et qu’il y avait eu un capitaine Hull à commander le Pilgrim, et que cet infortuné venait de périr avec son équipage ! La blatte l’absorbait tout entier ! Il ne l’admirait pas moins et il en faisait autant de cas que si cet horrible insecte eût été un scarabée d’or.

La vie, à bord, avait donc repris son cours habituel, bien que chacun dût rester longtemps encore sous le coup d’une si poignante et si imprévue catastrophe.

Pendant cette journée, Dick Sand se multiplia, afin que tout fût en place et qu’il pût parer aux moindres éventualités. Les noirs lui obéissaient avec zèle. L’ordre le plus parfait régnait à bord du Pilgrim. On pouvait donc espérer que tout irait sans encombre.

De son côté, Negoro ne fit plus aucune autre tentative pour se soustraire à l’autorité de Dick Sand. Il parut l’avoir tacitement reconnue. Occupé, comme toujours, dans son étroite cuisine, on ne le vit pas plus qu’auparavant. D’ailleurs, à la moindre infraction, au premier symptôme d’insoumission, Dick Sand était résolu à l’envoyer à fond de cale pour le reste de la traversée. Sur un signe de lui, Hercule eût empoigné le maître-coq par la peau du cou. Cela n’aurait pas été long. Dans ce cas, Nan, qui savait faire la cuisine, eût remplacé le cuisinier dans ses fonctions. Negoro devait donc se dire qu’il n’était pas indispensable, et, comme on le surveillait de près, il sembla ne vouloir donner aucune prise contre lui.

Le vent, tout en fraîchissant jusqu’au soir, ne nécessita aucun changement dans la voilure du Pilgrim. Sa solide mâture, son gréement de fer, qui était en bon état, lui eussent permis de supporter, sous cette allure, même une brise plus forte.

Pendant la nuit, il est souvent d’usage de diminuer de toile, et, particulièrement, de serrer les voiles hautes, flèches, perroquets, cacatois, etc. Cela est prudent, pour le cas où quelque rafale tomberait à bord instantanément. Mais Dick Sand crut pouvoir se dispenser de prendre cette précaution. L’état de l’atmosphère ne laissait rien présager de fâcheux, et d’ailleurs le jeune novice, décidé à passer cette première nuit sur le pont, comptait bien avoir l’œil à tout. Puis, c’était une marche plus rapide, et il lui tardait de se trouver sur des parages moins déserts.