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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Une demi-heure après l’avoir quitté, le capitaine Hull et ses compagnons se trouvaient exactement sous le vent de la baleine, de telle sorte que celle-ci occupait un point intermédiaire entre le bâtiment et l’embarcation.

Le moment était donc venu d’approcher en faisant le moins de bruit possible. Il n’était pas impossible qu’on pût accoster l’animal par le flanc et le harponner à bonne portée, avant que son attention eût été éveillée.

« Nagez moins vite, garçons, dit le capitaine Hull à voix basse.

— Il me semble, répondit Howik, que le goujon a senti quelque chose ! Il souffle moins violemment qu’il ne faisait tout à l’heure !

— Silence ! silence ! » répéta le capitaine Hull.

Cinq minutes plus tard, la baleinière se tenait à une encâblure de la jubarte[1].

Le maître d’équipage, debout à l’arrière, manœuvra de manière à se rapprocher du flanc gauche du mammifère, mais en évitant avec le plus grand soin de passer à portée de la formidable queue, dont un seul coup eût suffi à écraser l’embarcation.

À l’avant, le capitaine Hull, les jambes un peu écartées pour mieux assurer son aplomb, tenait l’engin avec lequel il allait porter le premier coup. On pouvait compter sur son adresse pour que ce harpon se fixât dans la masse épaisse qui émergeait des eaux.

Près du capitaine, dans une baille, était lovée la première des cinq lignes, solidement fixée au harpon, et à laquelle on rabouterait successivement les quatre autres, si la baleine plongeait à de grandes profondeurs.

« Y sommes-nous, garçons ? murmura le capitaine Hull.

— Oui, répondit Howik, en assurant solidement son aviron dans ses larges mains.

— Accoste ! accoste ! »

Le maître d’équipage obéit à l’ordre, et la baleinière vint ranger l’animal à moins de dix pieds.

Celui-ci ne se déplaçait plus, et semblait dormir. Les baleines que l’on surprend ainsi pendant leur sommeil offrent une prise plus facile, et il arrive souvent que le premier coup qui leur est porté les frappe mortellement.

« Cette immobilité est assez étonnante ! pensa le capitaine Hull. La coquine ne doit pas dormir, et pourtant !… Il y a là quelque chose ! »

  1. Une encâblure, mesure spéciale à la marine, comprend une longueur de cent vingt brasses, c’est-à-dire deux cents mètres.