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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

— Et un jour, après avoir été affreusement dévoré par un diptère, il souffla dessus et le renvoya, en lui disant, sans même le tutoyer : « Allez ! Le monde est assez grand pour vous et pour moi ! »

— Ah ! fit le capitaine Hull.

— Oui, monsieur !

— Eh bien, monsieur Bénédict, riposta le capitaine Hull, un autre avait dit cela bien avant sir John Franklin !

— Un autre !

— Oui, et cet autre, c’est l’oncle Tobie.

— Un entomologiste ? demanda vivement cousin Bénédict.

— Non ! L’oncle Tobie de Sterne, et ce digne oncle a précisément prononcé les mêmes paroles en donnant la volée à un moustique qui l’importunait, mais qu’il crut pouvoir tutoyer : « Va, pauvre diable, lui dit-il, le monde est assez grand pour nous contenir toi et moi ! »

— Un brave homme, cet oncle Tobie ! répondit cousin Bénédict. Est-il mort ?

— Je le crois bien, riposta gravement le capitaine Hull, puisqu’il n’a jamais existé ! »

Et chacun de rire, en regardant cousin Bénédict.

Ainsi donc, dans ces conversations et bien d’autres, qui portaient invariablement sur quelque point de la science entomologique dès que cousin Bénédict y prenait part, s’écoulaient les longues heures de cette navigation contrariée. Mer toujours belle, mais vents qui obligeaient le brick-goélette à tenir le plus près. Le Pilgrim ne gagnait que fort peu dans l’est, tant la brise était faible, et il lui tardait d’avoir atteint ces parages où les vents régnants lui seraient plus favorables.

Il faut dire ici que cousin Bénédict avait tenté d’initier le jeune novice aux mystères de l’entomologie. Mais Dick Sand s’était montré assez réfractaire à ces avances. Faute de mieux, le savant s’était rabattu sur les nègres, qui n’y comprenaient rien. Tom, Actéon, Bat et Austin avaient même fini par déserter la classe, et le professeur s’était trouvé réduit au seul Hercule, qui lui semblait avoir quelques dispositions naturelles à distinguer un parasite d’un thysanoure.

Le gigantesque noir vivait donc dans le monde des coléoptères, carnassiers, chasseurs, canonniers, fossoyeurs, cicindelles, carabes, sylphes, taupins, hannetons, cerfs-volants, ténébrions, charançons, coccinelles, étudiant toute la collection du cousin Bénédict, non sans que celui-ci frémît à voir ses frêles