Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

qu’on ne passerait pas. Un pareil voyage lui paraissait fastidieux. Il en était à regretter la factorerie de José-Antonio Alvez et la hutte où sa précieuse boîte d’entomologiste se trouvait encore. Son chagrin était très réel, et, au fond, le pauvre homme faisait peine à voir. Pas un insecte, non ! pas un seul à recueillir !

Quelle fut donc sa joie, quand Hercule, — « son élève » après tout, — lui rapporta une horrible petite bête qu’il venait de recueillir sur un brin de cette tikatika. Chose singulière, le brave noir semblait même un peu confus en la lui remettant.

Mais, quelles exclamations cousin Bénédict poussa, lorsque cet insecte, qu’il tenait entre l’index et le pouce, il l’eut approché le plus près possible de ses yeux de myope, auxquels ni lunette ni loupe ne pouvaient maintenant venir en aide.

« Hercule ! s’écria-t-il, Hercule ! Ah ! voilà qui te vaut ton pardon ! Cousine Weldon ! Dick ! Un hexapode unique en son genre et d’origine africaine ! Celui-là, du moins, on ne me le contestera pas, et il ne me quittera qu’avec la vie !

— C’est donc bien précieux ? demanda Mrs Weldon.

— Si cela est précieux ! s’écria cousin Bénédict. Un insecte qui n’est ni un coléoptère, ni un névroptère, ni un hyménoptère, qui n’appartient à aucun des dix ordres reconnus par les savants, et qu’on serait tenté de ranger plutôt dans la seconde section des arachnides ! Une sorte d’araignée, qui serait araignée, si elle avait huit pattes, et qui est pourtant un hexapode, puisqu’elle n’en a que six ? Ah ! mes amis, le Ciel me devait cette joie, et j’attacherai enfin mon nom à une découverte scientifique ! Cet insecte-là, ce sera l’« Hexapodes Benedictus ! »

L’enthousiaste savant était si heureux, il oubliait tant de misères passées et à venir en chevauchant son dada favori, que ni Mrs Weldon, ni Dick Sand ne lui épargnèrent les félicitations.

Pendant ce temps, la pirogue filait sur les eaux sombres de la rivière. Le silence de la nuit n’était troublé que par le cliquetis d’écailles des crocodiles ou le ronflement des hippopotames qui s’ébattaient sur les berges.

Puis, à travers les brindilles du chaume, la lune, apparaissant derrière les cimes d’arbres, projeta ses douces lueurs jusqu’à l’intérieur de l’embarcation.

Soudain, sur la rive droite, il se fit un lointain brouhaha, puis un bruit sourd, comme si des pompes géantes eussent fonctionné dans l’ombre.

C’étaient plusieurs centaines d’éléphants, qui, rassasiés des racines ligneuses