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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Alvez, sans doute, allait demander à la reine ce qui lui procurait l’honneur de sa visite ; mais le magicien ne lui en donna pas le temps, et, faisant reculer la foule de manière à laisser un large espace libre autour de lui, il recommença sa pantomime avec une animation plus grande encore. Il montra les nuages de la main, il les menaça, il les exorcisa, il fit le geste de les arrêter d’abord, de les écarter ensuite. Ses énormes joues se gonflèrent, et il souffla sur cet amas de lourdes vapeurs, comme s’il eût eu la force de les dissiper. Puis, se redressant, il sembla vouloir les arrêter dans leur course, et on eût dit que sa gigantesque taille allait lui permettre de les saisir.

La superstitieuse Moina, « empoignée », c’est le mot, par le jeu de ce grand comédien, ne se possédait plus. Des cris lui échappaient. Elle délirait à son tour et répétait instinctivement les gestes du mgannga. Les courtisans, la foule, faisaient comme elle, et les sons gutturaux du muet se perdaient alors au milieu de ces chants, cris et hurlements, que fournit avec tant de prodigalité le langage indigène.

Les nuages cessèrent-ils de se lever sur l’horizon oriental et de voiler ce soleil des tropiques ? S’évanouirent-ils devant les exorcismes du nouveau devin ? Non. Et précisément, lorsque la reine et son peuple s’imaginaient réduire les esprits malfaisants qui les abreuvaient de tant d’averses, voilà que le ciel, un peu dégagé depuis l’aube, s’obscurcit plus profondément. De larges gouttes d’une pluie d’orage tombèrent en crépitant sur le sol.

Alors, un revirement se fit dans la foule. On s’en prit à ce mgannga qui ne valait pas mieux que les autres, et, à certain froncement de sourcils de la reine, on comprit qu’il risquait au moins ses oreilles. Les indigènes avaient resserré le cercle autour de lui ; les poings le menaçaient, et on allait lui faire un mauvais parti, quand un incident imprévu changea le cours de ces dispositions hostiles.

Le mgannga, qui dominait de la tête toute cette foule hurlante, venait d’étendre le bras vers un point de l’enceinte. Ce geste fut si impérieux que tous se retournèrent.

Mrs Weldon, le petit Jack, attirés par ce tumulte et ces clameurs, venaient de quitter leur hutte. C’était eux que le magicien, dans un mouvement de colère, désignait de la main gauche, tandis que sa droite se levait vers le ciel.

Eux, c’était eux ! C’était cette blanche, c’était son enfant, qui causaient tout le mal ! De là venait la source des maléfices ! Ces nuages, ils les avaient amenés de leurs contrées pluvieuses pour inonder les territoires de Kazonndé !