Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/342

Cette page a été validée par deux contributeurs.
332
UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Il savait que la manticore tuberculeuse ne fait que voleter, pour ainsi dire, qu’elle marche plutôt qu’elle ne vole. Il se mit donc à genoux et parvint à apercevoir, à moins de dix pouces de ses yeux, le point noir qui glissait rapidement dans un rayon de soleil.

Mieux valait, évidemment, l’étudier dans cette allure indépendante. Seulement, il ne fallait pas le perdre de vue.

« Saisir la manticore, ce serait risquer de l’écraser ! se dit cousin Bénédict. Non ! Je la suivrai ! Je l’admirerai ! J’ai tout le temps de la prendre ! »

Cousin Bénédict avait il tort ? Quoi qu’il en soit, le voilà donc à quatre pattes, le nez au sol, comme un chien qui sent une piste, et suivant à sept ou huit pouces en arrière le superbe hexapode. Un instant après, il était hors de sa hutte, sous le soleil de midi, et, quelques minutes plus tard, au pied de la palissade qui fermait l’établissement d’Alvez.

En cet endroit, la manticore allait-elle d’un bond franchir l’enceinte, et mettre un mur entre son adorateur et elle ? Non, ce n’eût pas été dans sa nature, et cousin Bénédict le savait bien. Aussi était-il toujours là, rampant comme une couleuvre, trop loin pour reconnaître entomologiquement l’insecte, — d’ailleurs, c’était fait, — mais assez près pour toujours apercevoir ce gros point mouvant qui cheminait sur le sol.

La manticore, arrivée près de la palissade, avait rencontré le large boyau d’une taupinière qui s’ouvrait au pied de l’enceinte. Là, sans hésiter, elle fila dans cette galerie souterraine, car il est dans ses habitudes de rechercher ces conduits obscurs. Cousin Bénédict crut qu’il allait la perdre de vue. Mais, à sa grande surprise, le boyau était large de deux pieds au moins, et la taupinière formait une sorte de galerie où son long corps maigre put s’engager. Il mettait, d’ailleurs, à cette poursuite l’ardeur d’un furet, et ne s’aperçut pas même qu’en se « terrant » ainsi, il passait au-dessous de la palissade. En effet, la taupinière établissait une communication naturelle entre le dedans et le dehors. En une demi-minute, cousin Bénédict fut hors de la factorerie. Ce n’était pas là de quoi le préoccuper. Il était tout à son admiration pour l’élégant insecte qui le guidait. Mais celui-ci, sans doute, avait assez de cette longue marche. Ses élytres s’écartèrent, ses ailes se déployèrent. Cousin Bénédict sentit le danger, et, de sa main retournée, il allait faire à la manticore une prison provisoire, quand, frrrr !… elle s’envola.

Quel désespoir ! Mais la manticore ne pouvait aller loin. Cousin Bénédict se leva, il regarda, il s’élança les deux mains tendues et ouvertes…