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un capitaine de quinze ans.

de sa mère, qui, pour ne pas lui répondre autrement, le couvrit de baisers.

Il convient de dire maintenant qu’aux divers motifs qui avaient poussé Mrs. Weldon à résister aux injonctions de Negoro, se joignait un autre motif, qui n’était pas sans valeur. Mrs. Weldon avait peut-être une chance très inattendue d’être rendue à la liberté sans l’intervention de son mari et même contre le gré de Negoro. Ce n’était qu’une lueur d’espoir, bien vague encore, mais c’en était une.

En effet, quelques mots d’une conversation, surpris par elle plusieurs jours auparavant, lui avaient fait entrevoir un secours possible dans un terme rapproché, on pourrait dire un secours providentiel.

Alvez et un métis d’Oujiji causaient à quelques pas de la hutte qu’occupait Mrs. Weldon. On ne s’étonnera guère que le sujet de la conversation de ces estimables négociants fût précisément la traite des noirs. Les deux courtiers de chair humaine parlaient affaires. Ils discutaient l’avenir réservé à leur commerce et s’inquiétaient des efforts que faisaient les Anglais pour le détruire, non seulement à l’extérieur, par les croisières, mais à l’intérieur du continent par leurs missionnaires et leurs voyageurs.

José-Antonio Alvez trouvait que les explorations de ces hardis pionniers ne pouvaient que nuire à la liberté des opérations commerciales. Son interlocuteur partageait absolument sa manière de voir, et pensait que tous ces visiteurs, civils ou religieux, devraient être reçus à coups de fusil.

C’était bien un peu ce qui se faisait ; mais, au grand déplaisir des négociants, si l’on tuait quelques-uns de ces curieux, il en passait quelques autres. Or, ceux-ci, de retour dans leur pays, racontaient « en exagérant », disait Alvez, les horreurs de la traite, et cela nuisait énormément à ce commerce, beaucoup trop déconsidéré déjà. Le métis en convenait et le déplorait, surtout en ce qui concernait les marchés de N’yangwé, d’Oujiji, de Zanzibar et de toute la région des grands lacs. Là étaient successivement venus Speke, Grant, Livingstone, Stanley et autres. C’était un envahissement ! Bientôt, toute l’Angleterre et toute l’Amérique auraient occupé la contrée !

Alvez plaignait sincèrement son confrère, et il avouait que les provinces de l’Afrique occidentale avaient été jusqu’ici moins maltraitées, c’est-à-dire moins visitées ; mais l’épidémie de voyageurs commençait à se répandre. Si Kazonndé avait été épargnée, il n’en était pas ainsi de Cassange et de Bihé, où