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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

avait eu cette idée funeste de prendre passage à bord du Pilgrim, et il devait croire qu’elle s’était embarquée sur l’un des steamers de la compagnie transpacifique. Or, ces steamers arrivaient régulièrement, et ni Mrs Weldon, ni Jack, ni cousin Bénédict ne s’y trouvaient. En outre, le Pilgrim lui-même aurait déjà dû être de retour au port. Or, il ne reparaissait pas, et James W. Weldon devait maintenant le ranger dans la catégorie des navires supposés perdus par absence de nouvelles. Et quel coup terrible, le jour où il avait dû recevoir de ses correspondants d’Auckland avis du départ du Pilgrim et de l’embarquement de Mrs Weldon. Qu’avait-il fait ? Avait-il refusé de croire que son fils et elle eussent péri en mer ? Mais alors, où devait-il pousser ses recherches ? Évidemment sur les îles du Pacifique, peut-être sur le littoral américain. Mais jamais, non, jamais, il ne lui viendrait cette pensée qu’elle avait pu être jetée sur la côte de cette funeste Afrique ?

Ainsi songeait Mrs Weldon. Mais que pouvait-elle tenter ? Fuir ? Comment ? On la surveillait de près ! Et puis, fuir, c’était s’aventurer dans ces épaisses forêts, au milieu de mille dangers, tenter un voyage de plus de deux cents milles pour atteindre la côte ! Et cependant. Mrs Weldon était décidée à le faire, si aucun autre moyen ne lui était offert de recouvrer sa liberté. Mais, auparavant, elle voulait connaître au juste les desseins de Negoro.

Elle les connut enfin.

Le 6 juin, trois jours après l’enterrement du roi de Kazonndé, Negoro entra dans la factorerie, où il n’avait pas encore mis le pied depuis son retour, et il alla droit à la hutte occupée par sa prisonnière.

Mrs Weldon était seule. Cousin Bénédict faisait une de ses promenades scientifiques. Le petit Jack, sous la surveillance de l’esclave Halima, se promenait dans l’enceinte de l’établissement.

Negoro poussa la porte de la hutte, et sans autre préambule :

« Mrs Weldon, dit-il, Tom et ses compagnons ont été vendus pour les marchés d’Oujiji.

— Dieu les protège ! dit Mrs Weldon en essuyant une larme.

— Nan est morte en route, Dick Sand a péri…

— Nan morte ! Et Dick !… s’écria Mrs Weldon.

— Oui, il était juste que votre capitaine de quinze ans payât de sa vie le meurtre d’Harris, reprit Negoro. Vous êtes seule, à Kazonndé, mistress, seule au pouvoir de l’ancien cuisinier du Pilgrim, absolument seule, entendez-vous ! »

Ce que disait Negoro n’était que trop vrai, même en ce qui concernait Tom