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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

a péri sous la dent des lions et des panthères, et je ne regrette qu’une chose, c’est que ces bêtes féroces aient devancé ma vengeance.

— Si Hercule est mort, répondit Dick Sand, Dingo est vivant, lui. Un chien comme celui-là, Negoro, c’est plus qu’il n’en faut pour avoir raison d’un homme de ta sorte. Je te connais à fond, Negoro, tu n’es pas brave. Dingo te cherche, il saura te retrouver, tu mourras un jour sous sa dent.

— Misérable ! s’écria le Portugais exaspéré. Misérable ! Dingo est mort d’une balle que je lui ai envoyée ! Il est mort comme mistress Weldon et son fils, mort comme mourront tous les survivants du Pilgrim !…

— Et comme tu mourras toi-même avant peu ! » répondit Dick Sand, dont le regard tranquille faisait blêmir le Portugais.

Negoro, hors de lui, fut sur le point de passer de la parole aux gestes et d’étrangler de ses mains son prisonnier désarmé. Déjà il s’était jeté sur lui et il le secouait avec fureur, quand une réflexion soudaine l’arrêta. Il comprit qu’il allait tuer sa victime, que tout serait fini, et que ce serait lui épargner les vingt-quatre heures de torture qu’il lui ménageait. Il se redressa donc, dit quelques mots à l’havildar demeuré impassible, lui recommanda de veiller sévèrement sur le prisonnier, et sortit du baracon.

Au lieu de l’abattre, cette scène avait rendu à Dick Sand toute sa force morale. Son énergie physique en subit l’heureux contre-coup et reprit en même temps le dessus. Negoro, en s’accrochant à lui dans sa rage, avait-il quelque peu desserré les liens qui jusque-là lui avaient rendu tout mouvement impossible ? C’est probable, car Dick Sand se rendit compte que ses membres avaient plus de jeu qu’avant l’arrivée de son bourreau. Le jeune novice, se sentant soulagé, se dit qu’il lui serait peut-être possible de dégager ses bras sans trop d’efforts. Gardé comme il l’était dans une prison solidement close, ce ne serait sans doute qu’une gêne, qu’un supplice de moins ; mais il est tel moment dans la vie où le plus petit bien-être est inappréciable.

Certes, Dick Sand n’espérait rien. Aucun secours humain n’eût pu lui venir que du dehors, et d’où lui fût-il venu ? Il était donc résigné. Pour dire le vrai, il ne tenait même plus à vivre ! Il songeait à tous ceux qui l’avaient devancé dans la mort et n’aspirait qu’à les rejoindre. Negoro venait de lui répéter ce que lui avait dit Harris : Mrs Weldon et le petit Jack avaient succombé ! Il n’était que trop vraisemblable, en effet, qu’Hercule, exposé à tant de dangers, avait dû périr, lui aussi, et d’une mort cruelle ! Tom et ses compagnons étaient au loin, à jamais perdus pour lui, Dick Sand devait le croire. Espérer autre chose que la fin