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UN ENTERREMENT ROYAL

suffit pas de torturer leurs victimes ; il faut encore qu’ils jouissent de leurs souffrances.

Il se rendit donc, vers le milieu de la journée, au baracon où Dick Sand était gardé à vue par un havildar ; là, étroitement garrotté, gisait le jeune novice, presque entièrement privé de nourriture depuis vingt-quatre heures, affaibli par les misères passées, torturé par ces liens qui entraient dans ses chairs, pouvant à peine se retourner, attendant la mort, si cruelle qu’elle dût être, comme un terme à tant de maux.

Cependant, à la vue de Negoro, tout son être frémit. Il fit un effort instinctif pour briser les liens qui l’empêchaient de se jeter sur ce misérable et d’en avoir raison. Mais Hercule lui-même ne fût pas parvenu à les rompre. Il comprit que c’était un autre genre de lutte qui allait s’engager entre eux deux, et s’armant de calme, Dick Sand se borna à regarder Negoro bien en face, décidé à ne pas lui faire l’honneur d’une réponse, quoi qu’il pût dire.

« J’ai cru de mon devoir, lui dit Negoro pour débuter, de venir saluer une dernière fois mon jeune capitaine et de lui faire savoir combien je regrette pour lui qu’il ne commande plus ici comme il commandait à bord du Pilgrim. »

Et voyant que Dick Sand ne répondait pas :

« Eh quoi, capitaine, est-ce que vous ne reconnaissez pas votre ancien cuisinier ? Il vient cependant prendre vos ordres et vous demander ce qu’il devra vous servir à votre déjeuner. »

En même temps, Negoro poussait brutalement du pied le jeune novice étendu sur le sol.

« J’aurais en outre, ajouta-t-il, une autre question à vous adresser, mon jeune capitaine. Pourriez-vous enfin m’expliquer comment, voulant accoster le littoral américain, vous êtes venu à bout d’arriver à l’Angola où vous êtes ? »

Dick Sand n’avait certes plus besoin des paroles du Portugais pour comprendre qu’il avait deviné juste, quand il avait enfin reconnu que le compas du Pilgrim avait dû être faussé par ce traître. Mais la question de Negoro était un aveu. Il n’y répondit encore que par un méprisant silence.

« Vous avouerez, capitaine, reprit Negoro, qu’il est heureux pour vous qu’il se soit trouvé à bord un marin, un vrai celui-là. Où serions-nous sans lui, grand Dieu ! Au lieu de périr sur quelque brisant où la tempête vous aurait jeté, vous êtes arrivé, grâce à lui, dans un port ami, et si c’est à quelqu’un que vous devez d’être enfin en lieu sûr, c’est à ce marin que vous avez eu le tort de dédaigner, mon jeune maître ! »