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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

cannelle, ni les piments, ni aucun des ingrédients qui pouvaient encore relever ce punch de sauvages !

Tous avaient fait cercle autour du roi. Moini Loungga s’avança en titubant vers la bassine. On eût dit que cette cuve d’eau-de-vie le fascinait et qu’il allait s’y précipiter.

Alvez le retint généreusement, et lui mit dans la main une mèche allumée.

« Feu ! » cria-t-il avec une sournoise grimace de satisfaction.

« Feu ! » répondit Moini Loungga, en fouettant le liquide du bout de la mèche.

Quelle flambée, et quel effet, lorsque les flammes bleuâtres voltigèrent à la surface de la bassine ! Alvez, sans doute pour rendre cet alcool plus âcre encore, l’avait mélangé de quelques poignées de sel marin. Les faces des assistants revêtirent alors cette lividité spectrale que l’imagination prête aux fantômes. Ces nègres, ivres d’avance, se mirent à crier, à gesticuler, et se prenant par la main, formèrent une immense ronde autour du roi de Kazonndé.

Alvez, muni d’une énorme louche de métal, remuait le liquide, qui jetait de larges éclats blafards sur ces singes en délire.

Moini Loungga s’avança. Il saisit la louche des mains du traitant, la plongea dans la bassine, puis, la retirant pleine de punch en flammes, il l’approcha de ses lèvres.

Quel cri poussa alors le roi de Kazonndé !

Un fait de combustion spontanée venait de se produire. Le roi avait pris feu comme une bonbonne de pétrole. Ce feu développait peu de chaleur, mais il n’en dévorait pas moins.

À ce spectacle, la danse des indigènes s’était subitement arrêtée.

Un ministre de Moini Loungga se précipita sur son souverain pour l’éteindre ; mais, non moins alcoolisé que son maître, il prit feu à son tour.

À ce compte, la cour de Moini Loungga était en péril de brûler tout entière !

Alvez et Negoro ne savaient comment porter secours à Sa Majesté. Les femmes épouvantées avaient pris la fuite. Quant à Coïmbra, il détala rapidement, connaissant bien sa nature inflammable.

Le roi et le ministre, qui étaient tombés sur le sol, se tordaient en proie à d’affreuses souffrances.

Dans les corps si profondément alcoolisés, la combustion ne produit qu’une flamme légère et bleuâtre que l’eau ne saurait éteindre. Même étouffée à l’extérieur, elle continuerait encore à brûler intérieurement. Quand les liqueurs ont pénétré tous les tissus, il n’existe aucun moyen d’arrêter la combustion.