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UN JOUR DE GRAND MARCHÉ

Ce fut là un malheur pour Tom et ses trois compagnons. Les havildars les poussèrent dans le troupeau qui envahit la tchitoka. Ils étaient solidement enchaînés, et leurs regards disaient assez quelle fureur, quelle honte aussi les accablaient.

« Monsieur Dick n’est pas là ! dit presque aussitôt Bat, dès qu’il eut parcouru des yeux la vaste place de Kazonndé.

— Non ! répondit Actéon, on ne le mettra pas en vente !

— Il sera tué, s’il ne l’est déjà ! ajouta le vieux noir. Quant à nous, nous n’avons plus qu’un espoir, c’est que le même traitant nous achète ensemble. Ce serait une consolation de ne point être séparés !

— Ah ! te savoir loin de moi, travaillant comme esclave !… mon pauvre vieux père ! s’écria Bat, suffoqué par les sanglots.

— Non… dit Tom. Non ! On ne nous séparera pas, et peut-être pourrons-nous ?…

— Si Hercule était ici ! » s’écria Austin.

Mais le géant n’avait pas reparu. Depuis les nouvelles parvenues à Dick Sand, on n’avait plus entendu parler ni de Dingo, ni de lui. Fallait-il donc envier son sort ? Oui, certes ! car si Hercule avait succombé, du moins il n’avait pas porté les chaînes de l’esclave !

Cependant, la vente avait commencé. Les agents d’Alvez promenaient au milieu de la foule des lots d’hommes, de femmes, d’enfants, sans s’inquiéter s’ils séparaient ou non les mères de leurs petits ! Ne peut-on les nommer ainsi, ces malheureux, qui n’étaient pas autrement traités que des animaux domestiques ? Tom et les siens furent ainsi conduits d’acheteurs en acheteurs. Un agent marchait devant eux, criant le prix auquel leur lot serait adjugé. Des courtiers arabes, ou métis des provinces centrales, venaient les examiner. Ils ne retrouvaient point en eux les signes particuliers à la race africaine, signes modifiés chez ces Américains dès la seconde génération. Mais ces nègres vigoureux et intelligents, bien différents des noirs amenés des bords du Zambèze ou du Loualâba, avaient une grande valeur à leurs yeux. Ils les palpaient, ils les retournaient, ils regardaient leurs dents. Ainsi font les maquignons des chevaux qu’ils veulent acheter. Puis, on jetait au loin un bâton, on les obligeait à courir pour aller le ramasser, et on se rendait ainsi compte de leurs allures.

C’était la méthode employée pour tous, et tous étaient soumis à ces humiliantes épreuves. Que l’on ne croie pas à une complète indifférence chez ces malheureux à se voir ainsi traités ! Non. Excepté des enfants qui ne pouvaient comprendre à quel état de dégradation on les réduisait, tous, hommes ou