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UN JOUR DE GRAND MARCHÉ

En outre, si la nature a donné des dents aux indigènes, n’est-ce pas pour s’arracher les incisives médianes du haut et du bas, pour les limer en pointes, pour les recourber en crochets aigus comme des crochets de crotales ? Si elle a planté des ongles au bout des doigts, n’est-ce pas pour qu’ils poussent si démesurément que l’usage de la main en soit rendu à peu près impossible ? Si la peau, noire ou brune, recouvre la charpente humaine, n’est-ce pas pour la zébrer de « temmbos » ou tatouages, représentant des arbres, des oiseaux, des croissants, des pleines lunes, ou de ces lignes ondulées dans lesquelles Livingstone a cru retrouver des dessins de l’ancienne Égypte ? Ce tatouage des pères, pratiqué au moyen d’une matière bleue introduite dans les incisions, se « cliche » point pour point sur le corps des enfants, et permet de reconnaître à quelle tribu ou à quelle famille ils appartiennent. Il faut bien graver son blason sur sa poitrine, quand on ne peut pas le peindre sur les panneaux d’une voiture !

Telle était donc la part de l’ornementation dans ces modes indigènes. Quant aux vêtements proprement dits, ils se résumaient pour ces messieurs en quelque tablier de cuir d’antilope descendant jusqu’aux genoux, ou même en un jupon de tissu d’herbe à couleurs vives ; pour ces dames, c’était une ceinture de perles soutenant à la taille une jupe verte, brodée en soie, ornée de grains de verre ou de cauris, quelquefois un de ces pagnes en « lambba », étoffe d’herbe, bleue, noire et jaune, qui est si recherchée des Zanzibarites.

Il ne s’agit ici que des nègres de la haute société. Les autres, marchands ou esclaves, étaient à peine vêtus. Les femmes, le plus souvent, servaient de porteuses et arrivaient sur le marché avec d’énormes hottes au dos, qu’elles maintenaient au moyen d’une courroie passée sur leur front. Puis, la place prise, la marchandise déballée, elles s’accroupissaient dans leur hotte vide.

L’étonnante fertilité du pays faisait affluer sur ce lakoni des produits alimentaires de premier choix. Il y avait à profusion ce riz qui donne cent pour un, ce maïs qui, dans trois récoltes en huit mois, rapporte deux cents pour un, le sésame, le poivre de l’Ouroua, plus fort que le piment de Cayenne, du manioc, du sorgho, des muscades, du sel, de l’huile de palme. Là s’étaient donné rendez-vous quelques centaines de chèvres, de cochons, de moutons sans laine, à fanons et à poils, évidemment d’origine tartare, de la volaille, du poisson, etc. Des poteries, très symétriquement tournées, saisissaient le regard par leurs violentes couleurs. Les boissons variées que les petits indigènes criaient d’une voix glapissante, tentaient les amateurs, sous la forme de vin de banane, de « pombé », liqueur forte très en usage, de « malofou », bière douce faite avec les fruits du bana-