Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
UN JOUR DE GRAND MARCHÉ

avoir frappé l’Américain, il dédaigna d’adresser même une parole à Negoro.

Harris avait dit que Mrs Weldon et son enfant avaient succombé !… Rien ne l’intéressait plus, pas même ce qu’on ferait de lui. On l’entraîna. Où ? peu lui importait.

Dick Sand, étroitement enchaîné, fut déposé au fond d’un baracon sans fenêtre, sorte de cachot où le traitant Alvez enfermait les esclaves condamnés à mort pour rébellion ou voie de fait. Là, il ne pouvait plus avoir aucune communication avec l’extérieur ; il ne songea même pas à le regretter. Il avait vengé ceux qu’il aimait, qui n’étaient plus ! Quel que fût le sort qui l’attendait, il était prêt.

On pense bien que si Negoro avait arrêté les indigènes qui allaient punir le meurtre d’Harris, c’est qu’il réservait Dick Sand à l’un de ces terribles supplices dont les indigènes ont le secret. Le cuisinier du bord tenait en son pouvoir le capitaine de quinze ans ; il ne lui manquait qu’Hercule pour que sa vengeance fût complète.

Deux jours après, le 28 mai, s’ouvrit le marché, le grand « lakoni », sur lequel devaient se rencontrer les traitants des principales factoreries de l’intérieur et les indigènes des provinces voisines de l’Angola. Ce marché n’était pas spécial à la vente des esclaves, mais tous les produits de cette fertile Afrique y devaient affluer en même temps que les producteurs.

Dès le matin, l’animation était déjà grande sur la vaste tchitoka de Kazonndé, et il est difficile d’en donner une juste idée. C’était un concours de quatre à cinq mille personnes, en y comprenant les esclaves de José-Antonio Alvez, parmi lesquels figuraient Tom et ses compagnons. Ces pauvres gens, précisément parce qu’ils étaient de race étrangère, ne devaient pas être les moins recherchés des courtiers de chair humaine !

Alvez était donc là, le premier entre tous ; accompagné de Coïmbra, il proposait des lots d’esclaves, dont les traitants de l’intérieur allaient former une caravane. Parmi ces traitants, on remarquait certains métis d’Oujiji, principal marché du lac Tanganyika, et des Arabes, très supérieurs à ces métis dans ce genre de commerce.

Les indigènes se voyaient là aussi en grand nombre. C’étaient des enfants, des hommes, des femmes, celles-ci trafiquantes passionnées, et qui, pour le génie du négoce, en auraient certes remontré à leurs semblables de couleur blanche. Dans les halles des grandes villes, même un jour de grand marché, il ne se fait ni plus de bruit, ni plus d’affaires. Chez les civilisés, le besoin