Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/280

Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Les pagazis s’étaient arrêtés sur la place, après avoir déposé leurs charges d’ivoire, dont les négociants de Kazonndé allaient prendre livraison. Puis, payés de quelques yards de calicot ou autre étoffe de plus haut prix, ils retourneraient se joindre à quelque autre caravane.

Le vieux Tom et ses compagnons avaient donc été délivrés de ce carcan qu’ils portaient depuis cinq semaines. Bat et son père venaient enfin de se jeter dans les bras l’un de l’autre. Tous s’étaient serré la main. Mais c’est à peine s’ils osaient parler. Qu’auraient-ils pu se dire qui ne fût une parole de désespoir ? Bat, Actéon, Austin, tous trois vigoureux, faits aux rudes travaux, avaient pu résister aux fatigues ; mais le vieux Tom, affaibli par les privations, était à bout de forces. Encore quelques jours, et son cadavre eût été abandonné, comme celui de la vieille Nan, en pâture aux fauves de la province !

Tous quatre, aussitôt arrivés, avaient été parqués dans un étroit baracon, dont la porte s’était immédiatement refermée sur eux. Là, ils avaient trouvé quelque nourriture, et ils attendaient la visite du traitant près duquel ils voulaient, mais bien inutilement, se prévaloir de leur qualité d’Américains.

Dick Sand, lui, était resté sur la place, sous la surveillance spéciale d’un havildar.

Il était enfin à Kazonndé, où il ne doutait pas que Mrs Weldon, le petit Jack et cousin Bénédict ne l’eussent précédé. Il les avait cherchés des yeux en traversant les divers quartiers de la ville, jusqu’au fond des tembés qui bordaient les rues, sur cette tchitoka qui était presque déserte alors.

Mrs Weldon n’était pas là !

« Ne l’aurait-on pas conduite ici ? se demanda Dick Sand. Mais où serait-elle ? Non ! Hercule n’a pu s’y tromper. D’ailleurs cela devait rentrer dans les secrets desseins d’Harris et Negoro !… Et cependant, eux aussi, je ne les vois pas ?… »

Une poignante anxiété avait saisi Dick Sand. Que Mrs Weldon, retenue prisonnière, lui fût encore cachée, cela s’expliquait. Mais Harris et Negoro, — ce dernier surtout, — devaient avoir hâte de revoir le jeune novice, maintenant en leur pouvoir, ne fût-ce que pour jouir de leur triomphe, pour l’insulter, le torturer, se venger enfin ! De ce qu’ils n’étaient pas là, devait-on conclure qu’ils avaient pris une autre direction, et que Mrs Weldon s’était vue entraîner vers quelque autre point de l’Afrique centrale ? Dût la présence de l’Américain et du Portugais être le signal de son supplice, Dick Sand la désirait impatiemment. Harris et Negoro à Kazonndé, c’eût été pour lui la certitude que Mrs Weldon et son enfant y étaient aussi !