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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

— Morte, reprit-elle, et je ne reverrai plus ma chère maîtresse, ni mon petit Jack ! Mon Dieu ! mon Dieu, ayez pitié de moi ! »

J’ai voulu soutenir la vieille Nan, dont tout le corps tremblait sous ses vêtements déchirés. C’eût été une grâce de me voir lié à elle, et de porter ma part de cette chaîne dont elle avait tout le poids depuis la mort de sa compagne !

Un bras vigoureux me repousse, et la malheureuse Nan, enveloppée d’un coup de fouet, est rejetée dans la foule des esclaves. J’ai voulu me précipiter sur ce brutal… Le chef arabe est apparu, m’a saisi le bras et m’a maintenu jusqu’au moment où je me suis retrouvé au dernier rang de la caravane.

Puis, à son tour, il a prononcé le nom :

« Negoro ! »

Negoro ! C’est donc par l’ordre du Portugais qu’il agit et me traite autrement que mes compagnons d’infortune ?

À quel sort suis-je réservé ?

— 10 mai. — Passé aujourd’hui près de deux villages en flammes. Les chaumes brûlent de toutes parts. Des cadavres sont pendus aux arbres que l’incendie a respectés. Population en fuite. Champs dévastés. La razzia s’est exercée là. Deux cents meurtres, peut-être, pour obtenir une douzaine d’esclaves.

Le soir est arrivé. Halte de nuit. Campement établi sous de grands arbres. Hautes herbes qui forment buisson sur la lisière de la forêt.

Quelques prisonniers se sont enfuis la veille, après avoir brisé leur fourche. Ils ont été repris et traités avec une cruauté sans exemple. La surveillance des soldats et des havildars redouble.

La nuit est venue. Rugissement des lions et des hyènes. Ronflements lointains des hippopotames. Quelque lac ou cours d’eau voisin sans doute.

Malgré ma fatigue, je ne puis dormir ! Je songe à tant de choses !

Puis, il me semble que j’entends rôder dans les hautes herbes. Quelque fauve peut-être. Oserait-il forcer l’entrée du campement ?

J’écoute. Rien ! Si ! un animal passe entre les roseaux. Je suis sans armes ! Je me défendrai pourtant ! J’appellerai ! Ma vie peut être utile à Mrs Weldon, à mes compagnons !

Je regarde à travers les profondes ténèbres. Il n’y a pas de lune. La nuit est extrêmement noire.

Voici deux yeux qui reluisent dans l’ombre, entre les papyrus, des yeux de hyène ou de léopard ! Ils disparaissent… reparaissent…

Enfin, un bruissement d’herbes se produit. Un animal bondit sur moi !…